"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


mercredi 8 octobre 2008

Légion d'honneur


Je ne sais pas quelle est la marche à suivre pour faire attribuer la légion d'honneur à quelqu'un, mais ce que je sais, c'est que j'ai connu quelqu'un qui la méritait amplement et à qui personne pourtant n'a pensé jusqu'ici à la décerner. Si quelque ministre me lit, je me permets donc de l'inviter à réparer une injustice qui ne fait pas honneur à la France.
Je veux parler de mon ami Walter R., qui tenait dans les années 80 le secrétariat de l'association culturelle italo-française de Bologne. J'ai rarement vu quelqu'un d'aussi disponible, d'aussi empressé à vous rendre service que Walter. Il était de ceux qui se mettraient en quatre pour vous faire plaisir, et Dieu sait pourtant qu'il avait bien des soucis personnels, qui auraient pu justifier chez lui une certaine indifférence au sort des autres. Mais le monde semble ainsi fait que ce sont précisément les gens qui auraient le plus besoin de la sollicitude d'autrui, qui se montrent le plus sensibles au sort de leur prochain, fût-il le premier venu.
Et des premiers venus, et des plus démunis, Walter avait l'occasion d'en voir à longueur de journée.
En effet, le siège de l'association italo-française se trouvait alors piazza San Giovanni in Monte, au centre de Bologne. Or, de l'autre côté de la place, une grande bâtisse séculaire abritait une prison, la dernière prison intra-muros de Bologne encore en service si je me souviens bien.
Immanquablement, tous les détenus qu'on libérait et qu'aucun parent ni ami n'était venu chercher, autrement dit les plus démunis et les plus paumés d'entre les détenus, rendus à eux-mêmes mais ne sachant où aller, traversaient la place et entraient dans le secrétariat qui occupait une pièce donnant sur l'extérieur. Walter, les voyant arriver - c'était devenu une habitude à présent - leur expliquait ce que c'était que l'association, et que ce n'était peut-être pas l'endroit qu'ils cherchaient. Certains d'entre eux se contentaient de lui demander une pièce pour aller boire un café - et il la leur donnait toujours - puis s'en allaient. Mais la plupart d'entre eux ne voulaient rien, ne demandaient rien. Ils désiraient simplement pouvoir parler un peu - leurs vies étaient tellement mal fichues. Et ils devinaient en Walter une bonne âme disposée à leur prêter l'oreille comme on dit. Alors, pendant une heure parfois, Walter écoutait le récit de ces existences cabossées, auxquelles l'avenir n'offrait guère de perspectives beaucoup plus réjouissantes que le passé, mais qui, au moins, l'espace d'un instant, trouvaient dans l'attention d'un prochain vraiment proche un peu de chaleur et de réconfort.
Voilà, pour cette oeuvre de réelle charité humaine, accomplie dans une institution à l'entrée de laquelle flottait, au moins idéalement, le drapeau français, je propose que mon ami Walter soit élevé au rang de chevalier de la Légion d'honneur.

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