"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


lundi 13 octobre 2008

La dernière lettre de Pier Paolo Pasolini


L'une des oeuvres les plus célèbres du romantisme italien, peu connue en France (à juste titre: c'est une resucée grandiloquente et ennuyeuse des Souffrances du jeune Werther), est un roman épistolaire de Ugo Foscolo qui porte le titre de Ultime lettere di Jacopo Ortis. Mais ce n'est pas de ces dernières lettres-là que je veux vous entretenir aujourd'hui, mais de la dernière lettre écrite avant sa mort par un autre grand de la littérature et du cinéma italien: Pier Paolo Pasolini.
Il s'agit d'une lettre adressée par Pasolini à Gianni Scalia, son ami de longue date, le 3 octobre 1975, soit pas même un mois avant de mourir.
Cette lettre est liée pour moi à des souvenirs personnels, car je me souviens d'avoir fait la connaissance de Gianni Scalia, au printemps 1987 ou dans ces eaux-là, quelques jours seulement après la parution du deuxième volume de la correspondance de Pasolini, qu'elle concluait. C'était à Bologne, après une soirée où Adriano Marchetti avait présenté le livre de traductions de Joë Bousquet qu'il venait de publier. Après la conférence, à laquelle assistait Scalia, ami de Marchetti, nous sommes allés dîner, à sept ou huit, dans une osteria du centre de Bologne. C'est là que Gianni Scalia a parlé de la dernière lettre de Pasolini. On le sentait à la fois ému et fier, pas d'une fierté déplacée et exhibitionniste, non, de la fierté légitime d'avoir été si proche d'un homme comme Pasolini jusqu'à la fin ou presque.
La lettre en elle-même est du plus haut intérêt car Pasolini y répond avec enthousiasme à la proposition de Scalia (professeur de sociologie à l'Université de Pise, et donc plus "académique"que Pasolini lui-même) de "traduire en termes d'économie politique", dans des articles à paraître dans Nuovi Argomenti, revue théorique, ce que Pasolini exprimait "de façon journalistique" au fil de ses propres articles pour le Corriere della Sera (ces articles qui devaient composer les recueils des Scritti corsari et des Lettere luterane). Il en ressort donc que Pasolini ressentait à la veille de sa mort l'exigence de soumettre à l'épreuve d'une explicitation théorique les intuitions qu'il développait dans ses articles, et on regrette (parmi tant d'autres choses que sa mort prématurée nous fait regretter) que cette collaboration n'ait pu se concrétiser, car cela aurait certainement donner quelque chose de passionnant et de stimulant.

Pier Paolo Pasolini, Lettere (1955-1975), Einaudi, 1987.

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