"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


mardi 14 octobre 2008

Etoile jaune


J'ai lu hier une partie du journal tenu par Ernst Jünger alors qu'il faisait partie des troupes d'occupation allemandes à Paris, avec les mêmes sentiments mêlés que toujours à la lecture de Jünger, même d'Orages d'acier. Mais je parlerai de cela une autre fois. Ce dont je voudrais parler aujourd'hui, c'est d'un fait qu'il consigne dans son journal en 1942. A l'en croire, lorsque cette année-là fut instituée l'obligation du port de l'étoile jaune pour les Juifs, il leur fallait, pour recevoir des services compétents la dite étoile jaune réglementaire, remettre en échange un point de leur carte de rationnement textile. Si ce fait est vrai, et je ne vois aucune raison pour laquelle Jünger aurait dû l'inventer, il s'agit certes d'une vexation dérisoire par rapport aux crimes dont l'obligation du port de l'étoile jaune était le prélude, mais qui témoigne en même temps d'un mélange de cynisme et de mesquinerie bureaucratique qui en dit long sur le délitement spirituel de la France collaborationniste et qui créait les conditions morales pour la suite. Je crois, sans rhétorique aucune, qu'il faut être extrêmement attentif à ces petits faits, car ils sont révélateurs de l'état moral d'un peuple et d'un gouvernement. Les grandes catastrophes humaines ne surviennent qu'après une accumulation de mille petites lâchetés, de mille petites abdications individuelles et collectives, qui les préparent autant qu'elles les annoncent.

Cela dit pas pour prendre la pose avantageuse du donner de leçons, mais bien au contraire pour dire ceci: très peu d'entre nous sont nés pour être des héros, et c'est précisément pour cela qu'il faut savoir nous montrer inflexibles dans les petites choses qui sont encore à la portée de notre courage limité, sans attendre le moment où l'héroïsme sera requis.

Ernst Jünger, Journal de guerre et d'occupation, Julliard, 1965.

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