"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


mercredi 22 octobre 2008

Essence de la modernité


Plus en amont encore que l'opposition capitalisme/socialisme, économie de marché/économie administrée, je me demande s'il n'y a pas lieu de s'interroger sur le type de rationalité sui generis dont la modernité occidentale est porteuse, et dont le capitalisme et le socialisme ne seraient en fin de compte que deux versions ou deux interprétations, au sens que ce terme peut avoir quand on parle d'exécution d'une composition musicale. Je veux parler de cette forme de rationalité spécifique qui est à l'oeuvre dans tous les aspects de notre civilisation et qui consiste à appliquer à tous les problèmes une démarche analytique, ou mieux: qui consiste précisément à percevoir le monde, y compris le monde social, comme un ensemble de problèmes à résoudre selon les procédures de la raison analytique. Alors que les sociétés traditionnelles étaient faites d'institutions qui répondaient pour ainsi dire de façon synthétique à diverses exigences humaines, la rationalité moderne, pour le meilleur et pour le pire, a exercé un effet dissolvant sur ces synthèses spontanées, pour leur substituer des institutions fondées sur la seule raison analytique.
Prenons un exemple extrêmement concret et très terre-à-terre: dans l'Italie d'il y a vingt ans, on trouvait encore dans chaque village une osteria où les hommes du lieu se retrouvaient: une osteria remplissait spontanément et synthétiquement plusieurs fonctions sociales: c'était certes un débit de boissons, mais c'était aussi une sorte d'organe d'information, où l'on pouvait s'enquérir des dernières nouvelles locales ; c'était à l'occasion une bourse du travail, parce qu'un homme à la recherche d'un emploi pouvait y rencontrer un employeur potentiel ; c'était enfin un lieu de sociabilité tant pour les jeunes que pour les vieux, qui y tapaient le carton en buvant un verre de blanc, tout en étant en contact avec le reste de la communauté.
Et bien, j'ai l'impression que ces institutions spontanées sont en train de disparaître, parce que la logique profonde de notre civilisation nous pousse à dissocier ces différentes fonctions pour apporter à chacune d'entre elles une réponse spécifique. On aura donc l'agence pour l'emploi, le centre pour personnes âgés etc. Mais ces nouvelles institutions, en tant qu'elles sont pensées en vue d'assurer une fonction unique, n'ont plus me semble-t-il ce potentiel de sociabilité des institutions anciennes. Il se peut évidemment que je me trompe et qu'après tout la créativité sociale propre aux groupes humains parvienne malgré tout à doter, par concrétion pour ainsi dire, ces institutions "froides" (analytiques) de nouveaux usages "chauds" (synthétiques).


Aucun commentaire: