"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


jeudi 26 février 2009

Eloge d'Orwell

Je ne saurais vraiment trop vous conseiller de lire les écrits journalistiques de George Orwell. Comme je le disais il y a quelques jours, je lis en ce moment les articles qu'il a publiés dans le périodique socialiste anglais Tribune de 1943 à 1947. Ces articles sont non seulement bien plus stimulants, bien plus intelligents, bien mieux écrits que tous les écrits réunis de tous les éditorialistes de la presse française d'aujourd'hui ; ils se révèlent aussi, en dépit de leur nature d'écrits de circonstances, bien plus profonds et durables que bien des textes théoriques contemporains de leur publication. Ce recueil de tous les articles de Tribune vient juste de paraître en Angleterre chez l'éditeur Methuen, je ne pense donc pas qu'il soit disponible en français. Toutefois, une partie de ces articles devraient figurer dans l'anthologie d'essais d'Orwell parue en France il y a quelques années, laquelle anthologie, qui n'est autre à ma connaissance que la traduction des Collected Essays parus en quatre volumes en anglais à la fin des années 60 et régulièrement réédités, contient évidemment bien d'autres textes intéressants d'Orwell.
Je me borne pour aujourd'hui à cet exercice d'admiration, mais je me promets prochainement d'essayer de montrer en quoi consiste la grandeur d'Orwell comme journaliste et essayiste.

mercredi 25 février 2009

Futur du passé


J'écrivais dans le billet précédent: "la question de savoir à qui devront échoir en partage...".
J'allais écrire cette phrase en mettant "échoir" au futur: "la question de savoir à qui écherront en partage". Mais il ma semblé que plus personne aujourd'hui n'utilisait ces futurs un peu archaïques. Quel que soit mon goût pour une certaine préciosité, à mes heures, je me suis donc ravisé et ai usé de l'expédient de faire précéder "échoir" d'une forme du verbe "devoir".
Pour info, le futur du verbe "échoir" n'en est pas moins "écherra", tout comme celui du verbe "choir", à la famille duquel il appartient, est "cherra". Chacun se rappelle en effet la fameuse phrase de la mère-grand dans "Le petit chaperon rouge": "Tire la chevillette, la bobinette cherra".

Propos à bâtons rompus sur l'égalité

Comme je le disais dans le billet précédent, je suis dans l'absolu favorable à une société plus égalitaire, fût-ce au prix d'une certaine frugalité. (Ne nous voilons pas la face: l'instauration d'une société égalitaire entraînerait nécessairement un abaissement de la création globale de richesse, ce qui n'est pas un mal en soi. Je suis fermement convaincu que la désaffection définitive de la majorité de la population soviétique vis-à-vis du régime n'a pas été due aux crimes dont il s'est taché dans les deux premières décennies de son existence, mais au fait qu'à partir des années 60 il s'est fixé officiellement pour objectif l'élévation du niveau de vie dans un sens consumériste, autrement dit il a adopté les mêmes valeurs que le système capitaliste auquel il était censé s'opposer, et ce faisant il s'est condamné lui-même car, sur le terrain de la production de biens de consommation, le capitalisme est sans l'ombre d'un doute le meilleur système qui soit. Si le régime avait, au nom de valeurs clairement affichées comme opposées à celles du consumérisme, suivi la voie du développement des infrastructures collectives (théâtres, bibliothèques, maisons de vacances etc.), au lieu de produire des voitures etc. de moindre qualité qu'en occident, il aurait peut-être survécu, qui sait?).
Je suis favorable à une société plus égalitaire, disais-je, non pas tant parce que, personnellement, l'inégalité me choque ou que j'éprouve de l'envie pour les plus riches que moi - ce n'est pas le cas, et je suis convaincu que nous devons à l'inégalité qui régnait dans les sociétés du passé, par exemple, une grande partie des oeuvres d'art qu'elles nous ont laissées. Mais j'en suis venu à penser de plus en plus que l'inégalité est mauvaise en ce qu'elle suscite nécessairement des rivalités. Toute société inégalitaire a pour moteur la rivalité entre les êtres, se nourrit du conflit, et engendre le conflit. Seule une société égalitaire pourrait être une société enfin pacifiée.
Enfin, pacifiée, comme je le disais dans le billet précédent, une fois réglée la question de savoir à qui devront échoir en partage les appartements en bord de Seine.

Une question concrète

Il est une question que je me pose au sujet de l'égalité et à laquelle je n'arrive pas à trouver une réponse satisfaisante.
Je précise bien qu'il s'agit d'une véritable question et non pas d'une question rhétorique: je n'essaie pas d'être finaud, je pense que cette question, toute théorique qu'elle est à l'heure actuelle, finirait pas se poser en pratique le moment venu: aussi vaut-il mieux essayer d'y répondre dès à présent pour ne pas devoir improviser, avec ce que cela peut comporter de bâclé.
Bien, venons-en à ma question.
Je suis de ceux qui considèrent dans l'absolu comme souhaitable un maximum d'égalité matérielle au sein d'une société. Je serais donc plutôt favorable à une distribution grosso modo égalitaire des biens matériels. Or, si une telle répartition ne pose pas de problème théorique tant qu'il s'agit de biens fongibles: la nourriture, les vêtements etc., il est des biens que, du fait de leur caractère unique ou rare, il ne serait pas possible, même dans la société la plus égalitaire, de distribuer de façon équitable. Je pense en particulier aux biens immobiliers. Il n'est pas possible par définition de donner à tout le monde un appartement dans un immeuble en pierre de taille en bord de Seine à Paris etc.
Ma question, qui, je le répète, en est véritablement une, et que j'adresse à tous ceux qui, comme moi, aspirent à une société plus égalitaire, est donc la suivante: qu'en serait-il de ces biens non fongibles, dont chacun est un unicum, dans la société que nous appelons de nos voeux?
On pourrait certes dans une certaine mesure les socialiser: faire des nombreux châteaux et autres manoirs dont la France est couverte aujourd'hui encore des maisons de repos etc., ce que serait bel et bon, mais cela vaut uniquement pour les immeubles qui se prêtent à un usage collectif. Mais ce n'est pas le cas pour les appartements dont je parlais plus haut: à supposer même qu'on en fasse des komunalki, des appartements communautaires, comme il en existait en Union soviétique, seule une minorité pourrait en jouir (à quoi s'ajoute que la komunalka ne me semble pas l'institution soviétique la plus impérissable : elle naissait de toute façon de la pénurie de logements, et elle entraînait des problèmes de promiscuité etc.).
Je mets donc ma question au concours, comme le faisaient les académies du XVIIIe siècle.
Toutes les suggestions sont les bienvenues. Il n'est jamais trop tôt pour organiser la société du futur. Les lauréats auront droit à une statue en pied dans un petit jardin public de banlieue dans la société socialiste enfin réalisée. Et les camarades chargés de la propreté des espaces verts veilleront à ce que les pigeons n'outragent pas ladite statue de leurs déjections.

Des goûts et des couleurs 2

Dans le même ordre d'idées que ce que je disais dans le billet précédent, il est amusant que nous admirions dans la sculpture antique ou médiévale ce qu'elle a d'essentiel, de dépouillé, la représentation étant apparemment réduite à la seule plastique, alors qu'en fait la plupart des statues, aussi bien dans l'Antiquité qu'au Moyen Age, étaient à l'origine polychromes. Soit dit en passant d'ailleurs, dans la Cathédrale de Lausanne, le portail intérieur qui fait suite au narthex présente un certain nombre de belles sculptures qui ont gardé leurs couleurs d'origine et qui nous donnent une idée de la façon dont bien d'autres édifices gothiques devaient se présenter.

Des goûts et des couleurs

Un petit exemple, qui m'est revenu en mémoire sous la douche (mystère des associations d'idées), de la façon dont notre jugement sur une oeuvre peut être faussé quand nous ignorons la technique d'un art.
Il y a bien des années, je fréquentais avec un groupe d'amis le cinéma Lumière, une salle d'art et d'essai de Bologne. Le groupe d'amis en question était composé de véritables cinéphiles, de ces gens qui sont capables de regarder dans une même journée quatre ou cinq films d'affilée et qui peuvent passer des heures à vous parler de l'usage du gros plan chez tel cinéaste etc. etc.
(J'ai beau aimer le cinéma, je n'ai jamais été un cinéphile dans ce sens-là. Peu importe, ce n'est pas de cela que je voulais parler).
Bien, un jour que je nous venions d'assister à la projection d'un film, je ne me souviens plus lequel, avec ces amis, je m'extasiais de façon un peu niaise sur l'usage de la couleur dans ce film, une couleur très saturée, que je trouvais particulièrement intéressant.
L'un des amis en question me fit alors remarquer que cette couleur que j'admirais tant n'était absolument pas un choix stylistique, mais résultait du fait que, comme beaucoup de films underground, ce film avait été tourné avec de la pellicule de second choix récupérée à droite et à gauche et ayant dépassé sa date de péremption.
Bref, j'avais pris pour une intention de l'artiste ce qui n'était que la conséquence de l'indigence des conditions de réalisation.

mardi 24 février 2009

Globus

Je crois, sans me vanter, que mon fils a l'étoffe d'un grand explorateur, et qu'il pourrait bien être le Vasco de Gama ou le Christophe Colomb du XXIe siècle.
J'avais remarqué depuis quelque temps sa fascination pour les mappemondes. (J'entends par là non pas les cartes planes mais les sphères représentant le globe terrestre).
A chaque fois qu'il en voyait une dans la vitrine d'un magasin ou en quelque autre endroit, il s'arrêtait extatique en répétant "Globus! globus!" (c'est ainsi qu'on appelle une mappemonde en russe).
Aujourd'hui, il en a vu une de petite taille, d'un diamètre d'une dizaine de centimètres, dans un magasin, s'en est emparé sans crier gare et a pris la fuite. Il ne me restait plus qu'à payer ce petit globus, qu'il n'a pas lâché depuis, pas même pour aller au lit. Bref, le monde désormais lui tient lieu de doudou!

Two for the Road

Je viens de revoir avec le même plaisir que les fois précédentes Two for the Road de Stanley Donen. C'est à mes yeux un véritable chef-d'oeuvre, à la fois profond et léger, réalisée avec une virtuosité de montage, une fluidité d'écriture rares.
C'est le thème de Viaggio in Italia de Rossellini, en moins dense et en moins âpre certes, mais magnifiquement orchestré; c'est le Viaggio in Italia dilué, pour ainsi dire, dans quelques volumes de Singing in the rain et du meilleur Blake Edwards, celui de Breakfast at Tiffany's. Et cela donne un film véritablement émouvant, que je ne me lasse pas de revoir.

Quelques réflexions post-prandiales

Une culture, une civilisation a besoin pour exister de se croire supérieure, de se percevoir comme la seule forme légitime d'existence. Toute culture ne persiste dans l'être que grâce à une certaine mauvaise foi qui lui fait ignorer ou rejeter ce que les autres cultures peuvent avoir de bon.
Toute culture qui commence à douter de sa supériorité est perdue, car en doutant elle perd cette innocence et cette spontanéité qui sont la condition même de son existence.
Or la philosophie, la pensée rationnelle s'élève dès sa naissance, il suffit de relire Platon pour s'en convaincre, contre cette prétention des différentes cultures, des différentes sociétés humaines à exprimer le tout de l'homme. L'essence de la démarche philosophique consiste même précisément, en posant la distinction entre nature et culture, à montrer ce qu'a d'exorbitant la prétention des cultures particulières à vouloir se donner pour la nature.
L'avènement de la raison ne se fait donc qu'au prix d'un certain dépérissement de ce donné historique que sont les diverses cultures, et on est donc en droit de se demander si son règne ne se traduirait pas par un immense appauvrissement de l'expérience humaine.
Car si les différents cultures sont dangereuses dans leur prétention à être la nature même, elles n'en sont pas moins l'ensemble des formes sous lesquelles la vie humaine prend sens.
Idéalement, il s'agirait donc de définir une posologie de la raison, autrement dit une mesure dans son usage, qui permette de préserver les différentes cultures tout en émoussant ce qu'elles ont de tranchant et de belliqueux.

lundi 23 février 2009

Retour sur Renan

Je crains de n'avoir pas bien marqué dans mon billet sur Renan hier en quoi consiste exactement l'originalité de sa position.
J'essaierai maintenant de mieux préciser ma pensée.
Cette originalité est double.
Elle tient d'abord au fait que Renan, pour juger des bienfaits d'un régime politique, ne feint pas d'adopter un point de vue universel (l'Ordre divin à droite, le Bonheur du peuple à gauche) mais prend comme critère la condition faite à l'intellectuel sous ce régime, autrement dit le sort réservé à la catégorie à laquelle il appartient.
(Même s'il est vrai que ce point de vue particulier est en quelque sorte universalisable puisque Renan semble poser le progrès spirituel comme vocation de l'espèce humaine dans son ensemble).
La seconde originalité consiste en ce que, tout en étant conscient des travers de la démocratie, Renan n'en conclut pas moins qu'elle pourrait bien être somme toute plus favorable au développement de la pensée que l'ancien régime qui, s'il reconnaissait l'excellence intellectuelle et artistique, fixait toutefois des bornes étroites à l'exercice de la pensée et à la liberté de création.
Rappelons que lorsque Renan parle de démocratie, ce n'est pas tant à une forme de gouvernement particulière qu'il songe que, fidèle en cela à Tocqueville, à un certain état social caractéristique de la modernité: est démocratique toute société égalitaire, autrement dit toute société qui, même si elle ne réalise pas l'idéal d'égalité, est travaillée par cet idéal et rejette l'idée que les inégalités sociales soient fondées en nature.

Quelle culture?

Un ancien haut fonctionnaire du ministère de la Culture, nous dit Libération, s'apprête à publier un livre dans lequel il attaque la politique culturelle française actuelle.
L'article ne permet pas de comprendre vraiment de quoi il s'agit, tant les querelles intestines de ce petit monde de bureaucrates qui prétendent régir la culture (au point de se croire autant sinon plus importants que les créateurs eux-mêmes) sont inintelligibles pour le profane.
A vrai dire, je n'ai jamais bien compris à quoi servait un ministère de la culture, ni ce qu'on entendait par culture ici. Les conceptions et les ambitions de Malraux, initiateur de la politique culturelle moderne, dans ce domaine me semblent aussi vagues et inconsistantes que la pensée de Malraux en général.
Le véritable ministère de la culture devrait à mes yeux être le ministère de l'Education.
Car la culture bien entendue n'est ni plus ni moins que la capacité de voir et de penser, et c'est à l'école qu'il appartient d'y initier les enfants.
Le ministère de la culture ne devrait être ni plus ni moins qu'un ministère des beaux-arts, une sorte de conservatoire en chef chargé d'assurer la préservation d'un patrimoine que l'école apprendrait à apprécier.
L'inégalité culturelle est l'une des pires formes d'inégalité qui soit, car la culture au sens fort du terme n'est pas un simple ornement, elle est la possibilité pour chacun de donner du sens à son existence et au monde qui l'entoure ; elle est un réservoir de raisons de vivre.
Une personne privée de culture, c'est une personne amputée de cette faculté de s'inventer constamment de nouvelles raisons de vivre qu'est en fin de compte la culture bien comprise.
C'est là une privation aussi grave que celle des conditions matérielles propres à assurer une vie digne.
Mais ce ne sont certainement pas les politiques culturelles menées jusqu'ici en France qui l'aboliront.
Ces politiques sont entièrement tournées, au bénéfice des élites, vers le financement de la création, qui devrait être laissée à l'initiative privée, car il n'appartient pas à l'Etat d'arbitrer entre les productions de la culture en train de se faire (et ce à des prix qui sont déterminés par un marché de l'art dont on sait que le moteur n'est pas le seul amour du beau, mais bien souvent la pure spéculation financière).
Le rôle de l'Etat ici devrait se borner à la formation, qui, je le répète, relève des compétences du ministère de l'Education, et à la conservation du patrimoine.
Ces considérations sont un peu décousues, mais je me comprends.

dimanche 22 février 2009

Deux mots sur Hollywood

Deux ou trois remarques un peu bateau après avoir vu un film hollywoodien, peu importe lequel.
(qu'il ne s'agisse pas d'un chef-d'oeuvre mais d'un film quelconque, appartenant au tout-venant de la production hollywoodienne, ne fait que corroborer ce que j'ai à dire).
Ce qui fait la spécificité, et la magie du cinéma hollywoodien de la haute époque, c'est que les personnages y sont plus qu'humains, ils évoluent dans un ordre de réalité autre que celui dans lequel il échoit aux hommes et aux femmes ordinaires de vivre leur vie.
Il s'agit en fait d'une sorte d'Olympe, un Olympe en carton-pâte si l'on veut, mais un Olympe tout de même.
Ce cinéma-là fonctionnait sur cette distance mise entre le spectacle et le spectateur, alors que le cinéma d'aujourd'hui, qui fonctionne selon les mêmes codes que la télévision, mise sur l'identification.
(Mutatis mutandis, on a affaire à une distance analogue entre les deux types de cinémas que celle qu'on observe entre la tragédie classique et le mélodramme qui s'impose dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, fondé lui aussi sur l'identification).

Tourisme domestique

Nous avons mis au point une nouvelle méthode de promenade, si je peux m'exprimer ainsi, Nastia et moi: nous prenons un autobus au hasard, nous descendons au quatrième, cinquième ou dixième arrêt selon notre humeur, puis nous revenons à pied sur nos pas en observant attentivement tout ce qui s'offre à notre curiosité chemin faisant: un restaurant chinois que jouxte une petite cour arborée où l'on doit prendre les repas en été ; le bow-window joliment ouvragé d'une maison du début du siècle dernier ; l'ample tenture rose bonbon qui orne la vitrine d'un coiffeur pour dames de quartier et lui confère un je ne sais quoi de délicieusement suranné (on voit beaucoup de ce genre de vitrines vieillottes dès qu'on s'éloigne du centre dans les villes suisses). Bref, nous nous adonnons à une sorte de tourisme minimaliste mais scrupuleux, qui nous permet de découvrir une foule de petits détails auxquels on ne prête pas attention en général, et qui manifestent pourtant l'âme d'une ville autant voire plus que ses monuments les plus renommés.

Stranger in paradise

Je lis en ce moment un recueil d'articles publiés par Orwell dans la revue britannique Tribune dans les années 40. J'aime les écrits de fiction d'Orwell (j'ai dû relire dix fois La Ferme des animaux, qui est un chef-d'oeuvre du XXe siècle), mais j'aime aussi beaucoup ses essais et ses écrits journalistiques, que le livre de Jean-Claude Michéa Orwell, anarchiste tory, m'a donné envie de relire (j'en reparlerai).
Dans un article intitulé "Can Socialists be happy", paru le 24 décembre 1943, Orwell observe que toutes les représentations qui ont été données du Paradis par les religions ou de la société parfaite par les utopistes sont en général bien fades et, tout compte fait, peu attrayantes. Et il ajoute cette remarque, que je trouve excellente: il se pourrait bien, dit-il, que la description la plus convaincante que nous ayons en la matière soit celle de Tertullien, lequel affirme que l'une des plus grandes joies du Paradis consiste dans le spectacle des tortures qui sont infligées aux damnés.

George Orwell, Orwell in Tribune, Methuen.

Renan et la démocratie

Je lis dans la Préface des Souvenirs d'enfance et de jeunesse de Renan (écrit dans les années 70 du XIXe siècle):
"Le monde marche vers une sorte d'américanisme, qui blesse nos idées raffinées, mais qui, une fois les crises de l'heure actuelle passées, pourra bien n'être pas plus mauvais que l'ancien régime pour la seule chose qui importe, c'est-à-dire l'affranchissement et le progrès de l'esprit humain. Une société où la distinction personnelle a peu de prix, où le talent et l'esprit n'ont aucune cote officielle, où la haute fonction n'ennoblit pas, où la politique devient l'emploi des déclassés et des gens de troisième ordre, où les récompenses de la vie vont de préférence à l'intrigue, à la vulgarité, au charlatanisme qui cultive l'art de la réclame, à la rouerie qui serre habilement les contours du Code pénal, une telle société, dis-je, ne saurait nous plaire. Nous avons été habitués à un système plus protecteur, à compter davantage sur le gouvernement pour patronner ce qui est noble et bon. Mais par combien de servitudes n'avons-nous pas payé ce patronage! (...) Les concessions qu'il fallait faire à la cour, à la société, au clergé étaient pires que les petits désagréments que peut nous infliger la démocratie. (...) En somme, il se peut fort bien que l'état social à l'américaine vers lequel nous marchons, indépendamment de toutes les formes de gouvernement, ne soit pas plus insupportable pour les gens d'esprit que les états sociaux mieux garantis que nous avons traversés. On pourra se créer, en un tel monde, des retraites fort tranquilles. (...)"


On voit que Renan ne cède pas aux sentiments antidémocratiques qu'on observe chez tant d'intellectuels de son temps, nostalgiques de ce que l'historien Christophe Charle, me semble-t-il, appelle "l'ancien régime culturel" (mécénat, patronage, pensions etc.) et de l'ancien régime en général.
Non pas que Renan ne soit pas convaincu lui aussi du nivellement social et culturel qu'entraînent les progrès de l'égalité, mais, du point de vue où il se place, celui des conditions favorables à l'exercice de la pensée (et plus concrètement encore, à l'existence du penseur, de l'homme voué aux choses de l'esprit), il considère qu'à tout prendre une société plus égalitaire pourrait être préférable aux sociétés d'ancien régime.

mercredi 18 février 2009

Ne pas aimer ne pas aimer

Pour une foule de raisons, que j'ai en partie exposées ici, je n'aime pas mon époque.
Mais ce qui me distingue d'autres personnes qui n'aiment pas cette époque non plus, ce ne sont pas seulement les raisons que j'ai de ne pas l'aimer, qui peuvent différer des leurs, mais c'est aussi le fait que, si je n'aime pas mon époque, je n'aime pas ne pas l'aimer.
Je veux dire par là que c'est sans complaisance que j'éprouve ce sentiment de distance, de séparation d'avec mon temps.
Ce n'est pas quelque chose dont me réjouisse, quelque chose dont je sois fier, bien au contraire.
Ne serait-ce que parce qu'un tel sentiment se traduit nécessairement par une impression de grande solitude.

Mort d'homme

Il n'est malheureusement plus temps de rire, comme je le faisais hier encore, au sujet de la situation en Guadeloupe.
Il y a eu mort d'homme.
On peut penser que les rancoeurs liés au passé colonial - un passé qui, à bien des points de vue, n'est pas passé, il suffit pour s'en convaincre de voir la disparité qui existe entre Noirs et Blancs dans la distribution de la propriété agricole et industrielle - pèsent lourd dans ce conflit.
En même temps, la situation des habitants des départements d'outre-mer reste enviable par rapport aux pays voisins qui jouissent de leur indépendance. Je ne sais pas trop quoi penser.

mardi 17 février 2009

Pwofitasyon

Juste une petite glose philologique en marge du mouvement social qui agite la Guadeloupe: le sigle du collectif qui coordonne ce mouvement - LKP - correspond au créole "Lyannaj kont pwofitasyon". Le Monde traduit par "Ensemble contre les profiteurs". "Pwofitasyon", toutefois, c'est un néologisme qui dit plus que "profiteurs", et qui ce faisant enrichit le vocabulaire politique, car il désigne l'acte même de profiter.
La pwofitasyon est, disons-le, une forme d'expwatasyon.
Et pwofitons de l'occasion pour souhaiter que les pwoblèmes de la Guadeloupe trouvent rapidement une solution.

lundi 16 février 2009

Prochainement sur vos écrans

Cet hiver qui n'en finit pas me fatigue, et je ne tiens pas ce blog avec la même régularité qu'auparavant.
Des milliers de lecteurs pour lesquels mes articles étaient devenus une boussole dans l'Océan tempestueux de la Modernité m'écrivent pour s'en désoler... Bien, j'exagère un peu peut-être, mais ça ne mange pas de pain.
Mais j'ai en réserve quelques articles que je me promets d'écrire prochainement.
L'un d'eux portera sur le thème "Pensée proto-écologique et misanthropie chez Barbapapa" (mon fils regarde en boucle ce dessin animé en ce moment).
Un autre sur le libéralisme bien tempéré d'Ernest Renan, dont je viens de relire les Souvenirs d'enfance et de jeunesse.
Un autre sur la floraison d'associations "sans frontières". (Saviez-vous qu'il en existe même une intitulée "Clowns sans frontières"? C'est peut-être la plus honnête de toutes.)
A suivre...

vendredi 13 février 2009

Grands soirs et petits matins

Si l'on y pense, c'est bizarre qu'on ait eu recours à la métaphore du "grand soir" pour parler de la Révolution, car à bien y regarder l'imaginaire révolutionnaire, l'imaginaire utopique en général est plus matinal que vespéral. En effet, ce à quoi vise l'idée de Révolution, n'est-ce pas un recommencement, qui serait comme un matin de l'Histoire? Une humanité enfin affranchie des multiples entraves de la tradition, délestée du poids de son passé, un monde neuf, c'est me semble-t-il l'essence du rêve révolutionnaire, qui est au fond un rêve de palingénèse collective.
Il est vrai qu'il n'y a pas forcément contradiction, car ce matin de renaissance suppose le crépuscule du monde ancien.

mardi 10 février 2009

Quelques mots sur Bouvard et Pécuchet

Je suis sur le point de finir Bouvard et Pécuchet.
Je le répète, ce n'est pas l'oeuvre nihiliste que d'aucuns se sont plus à y voir.
Certes, c'est le livre d'un homme revenu de tout, et il s'en dégage sans aucun doute une sorte de scepticisme mélancolique. Mais on n'y trouve ni sarcasme, ni joie mauvaise.
Même les traits les plus féroces sont comme enveloppés dans une vision plus ample, plus profonde, plus riche de l'expérience humaine.
Si on y prend garde, par exemple, les épisodes les plus dérisoires s'accompagnent le plus souvent d'une notation d'atmosphère de quelques phrases denses (l'heure du jour, le temps qu'il fait, le paysage...), et ces notations sont comme autant de haïkus qui suggèrent que la sensation pourrait être une voie d'accès plus authentique et plus efficaces aux choses, à l'être que toutes les théories etc. Oui, les descriptions remplissent ici un rôle bien plus important que cet "effet de réel" que la critique a voulu leur assigner parfois ; elles pourraient bien exprimer une sorte d'extase éprouvée au spectacle de la chair du monde, extase antérieure et résistante à toute conceptualisation. J'irais même jusqu'à dire qu'il y a dans ce livre, malgré tout ce qu'il peut présenter superficiellement de pessimisme, une sorte d'assentiment au monde. Assentiment qui s'exprime, comme je viens de le dire, dans une certaine extase matérielle, mais aussi dans la tendresse que se vouent l'un à l'autre Bouvard et Pécuchet, et qui figure à l'état embryonnaire une communauté humaine possible.

lundi 9 février 2009

Le Valmy des peuples colonisés

Pour Ferrat Abbas, président du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), la bataille de Dien Bien Phu fut « le Valmy des peuples colonisés ».
Rien n'illustre mieux que cette citation les contradictions de l'entreprise coloniale française et l'ambivalence vis-à-vis de la métropole des mouvements de libération qui y mirent fin.
En effet, en empruntant sa référence à l'histoire de France elle-même, Abbas montre que c'est au nom des valeurs qu'elle leur avait enseignées tout en leur en refusant le bénéfice que les peuples colonisés luttèrent contre la France coloniale. Ces valeurs qui pour eux, citoyens de seconde classe de l'Empire, étaient restées lettre morte, ils étaient désormais déterminés à les faire leurs. Ils prenaient à la lettre les principes énoncés par la France et, ce faisant, la mettaient face à ses contradictions: la colonisation s'autorisait de valeurs que, par son essence-même, elle bafouait. Notons d'ailleurs qu'on observe la même contradiction dès les guerres napoléoniennes, guerres de libération ayant tourné aux conquêtes, qui furent pour beaucoup dans la naissance de la conscience nationale allemande par exemple, à la suite de l'occupation des Etats germaniques etc.
La déclaration d'Abbas est donc tout à la fois un hommage aux principes de la France et à la France des principes, et une condamnation sans appel de cette France coloniale qui avait failli à ses propres idéaux.

samedi 7 février 2009

Un Flaubert apaisé

En fait, même s'il dit lui-même, dans une lettre que je citais hier, vouloir s'y purger de son fiel, Flaubert me semble bien moins fielleux dans Bouvard et Pécuchet que dans, mettons, Madame Bovary.
Certes, la satire demeure, satire flaubertienne, toute en finesse bien sûr, et dont le style indirect libre, qui permet de brouiller les limites entre le subjectif et l'objectif, demeure l'un des outils les plus efficaces. Mais Flaubert m'y semble plus apaisé, je dirais même plus olympien pour employer ses propres termes. Et on sent qu'il éprouve une tendresse véritable pour ses personnages (dont les sentiments réciproques sont d'ailleurs rendus avec une grande justesse et une grande délicatesse). Il ne s'agit en rien de pantins au service d'une démonstration ou d'une farce.

Chef-d'oeuvre

Je relis donc Bouvard et Pécuchet. C'est bien le chef-d'oeuvre dont je me souvenais.
C'est un plaisir d'admirer les chefs-d'oeuvre ; on a l'impression de communier avec tous ceux qui les ont reconnus et les reconnaissent comme tels, on est rassuré sur les possibilités de l'intersubjectivité. Ce n'est pas si courant, il ne faut donc pas bouder son plaisir.
Je me souviens d'avoir éprouvé ce même sentiment il y a une dizaine d'années en voyant pour première fois La Règle du jeu de Renoir. Si étrange que cela puisse paraître, je n'avais pas encore vu ce film à trente ans passés. Pour tout dire, je voulais le voir plus pour remplir un devoir qu'autre chose, par acquit de conscience disons. C'était un film qu'il fallait avoir vu. Mais je me disais que ce serait peut-être un peu ennuyeux. Et puis voilà le film qui commence, et c'est vraiment étourdissant de virtuosité tout au long, avec cette profondeur, cette épaisseur de sens qui font justement les chefs-d'oeuvre. Et j'éprouvai alors ce sentiment un peu tautologique mais infiniment satisfaisant pour l'esprit, que ce chef-d'oeuvre était un chef-d'oeuvre.
Voilà, c'est le même sentiment que j'éprouve maintenant à la relecture de Bouvard et Pécuchet, ce même sentiment d'admiration et je dirais même de gratitude qu'on a en présence de grandes oeuvres.

vendredi 6 février 2009

Sans nom

J'ai lu récemment dans un bouquin d'Henri Calet qu'il y avait autrefois à Argenteuil une "rue des Ha! Ha!", ce qui est assez singulier comme nom de rue.
(J'y ai lu aussi qu'autrefois Argenteuil était réputé pour ses asperges. Qui l'imaginerait aujourd'hui? Mais, qui sait que Rosny-sous-Bois était en son temps renommé pour ses pêches, qui s'exportaient jusqu'à la cour d'Angleterre? On a du mal à se représenter la banlieue de Paris comme la campagne qu'elle était pourtant il y a encore moins d'un siècle).
Cela m'a fait songer que j'aimerais bien un jour collecter dans un petit dictionnaire tous les noms de rue étranges ou amusants qu'il m'a été donné de connaître.
Y figurerait en bonne place cette ruelle du centre de Bologne qui porte le nom poétique de "vicolo senza nome". J'y échouai un jour au hasard d'une balade à vélo.
(J'ai parcouru Bologne et les collines environnantes à vélo en long, en large et en travers).
Ce qui est fascinant dans ce cas-là, c'est aussi le fait qu'en vertu de la puissance performative du langage, l'acte d'énonciation (comme dans la prétérition) prévaut sur le contenu sémantique: nommer une chose "sans nom", c'est encore la nommer, et c'est donc faire qu'elle ne soit pas sans nom mais porte, précisément, le nom de "sans nom".

L'Age d'or

Tout compte fait, ce en quoi je pense me distinguer radicalement de mes contemporains, c'est qu'alors qu'ils ont pour la plupart un préjugé favorable pour le futur, j'ai quant à moi le préjugé contraire: je suis porté à voir d'un oeil plutôt favorable toute chose du passé, en tant précisément qu'elle appartient au passé.
Je ne crois pas à la perfectibilité de l'espèce humaine, ni par conséquent au progrès.
Je pense que toute amélioration touchant un aspect donné de la société s'accompagne comme par l'effet d'une loi de la péjoration d'un autre aspect, si bien que tout changement, dans le meilleur des cas, se solde par un effet neutre.
Bref, j'appartiens à l'espèce de ceux pour qui l'Age d'or est derrière nous, l'Histoire n'étant qu'une longue dérive qui nous en éloigne de plus en plus.
Oui, décidément, j'aime le passé en tant que tel, il est mon élément.
C'est si vrai que, lors même que je visite la Russie, en quête des vestiges de l'époque soviétique, société tendue vers le futur s'il en fut, c'est pour ainsi dire le passé d'un futur que j'y recherche, c'est à l'archéologie d'un avenir que je m'y livre.
(Un peu de préciosité à l'heure de l'apéritif le vendredi soir ne fait de mal à personne).

jeudi 5 février 2009

Epigraphe

J'avais exprimé ici il y a un mois ou deux le désir que j'avais de relire Bouvard et Pécuchet.
J'en ai trouvé l'édition des classiques Garnier pour 3 francs ce matin dans une librairie d'occasion.
Quand on déménage trop souvent, on doit racheter régulièrement les classiques.
Dans sa préface, Edouard Maynial cite une lettre de Flaubert dans lequel ce dernier explique à son correspondant le but qu'il se propose en entreprenant l'écriture de son roman: "Et puis, écrit Flaubert, comme j'espère cracher là-dedans le fiel qui m'étouffe, c'est-à-dire émettre quelques vérités, j'espère par ce moyen me purger, et être ensuite plus olympien, qualité qui me manque absolument".
Je ne sais pas vous, mais moi je passe mon temps à noter des citations que je placerais volontiers en épigraphe en tête de mon autobiographie, s'il me vient jamais la fantaisie d'en écrire une.
Et bien "olympien, qualité qui me manque absolument", figure à compter d'aujourd'hui en bonne place parmi les candidats...

A la guerre comme à la guerre

La Suisse, disais-je dans le billet précédent, est restée des siècles durant comme en marge de l'Histoire ; elle a notamment été épargnée par les deux grandes guerres mondiales qui ont mis tant de pays à feu et à sang au siècle dernier. Or, et cela ne laisse pas de m'étonner, la plupart des villes suisses présentent, souvent même en plein centre, des horreurs architecturales et urbanistiques qui, ailleurs, ne s'expliquent que par une reconstruction hâtive consécutive aux bombardements subis à l'occasion de la guerre.
Je suis tenté de donner à cet état de chose une explication empruntée à ces théories sociales organicistes dont le XIXe siècle était si friand. La médecine nous dit que la recrudescence, que l'on constate à notre époque, de maladies auto-immunes telles que l'asthme, les allergies etc. pourrait s'expliquer par le fait que, en raison de l'excès d'hygiène dont nous entourons les enfants aujourd'hui, leur système immunitaire, pour ainsi dire désoeuvré, se retournerait contre l'organisme même qu'il a pour fonction normalement de protéger contre les agressions du dehors. De la même façon, la Suisse, n'ayant pas eu à subir de guerre, n'ayant pas dû s'affronter à une menace extérieure, aurait retourné contre elle-même cette violence sans exutoire, infligeant à ses propres villes des destructions que seules les guerres sont à même d'occasionner d'ordinaire.
Cette explication est tirée par les cheveux, mais je vous avais prévenus: elle s'inspire de la pensée du XIXe siècle, qui est tout entière tirée par les cheveux.

L'Histoire, les coucous etc.

On connaît la fameuse tirade d'Orson Welles dans le Troisième homme: "In Italy, for thirty years under the Borgias, they had warfare, terror, murder, bloodshedthey produced Michelangelo, Leonardo da Vinci and the Renaissance. In Switzerland, they had brotherly love, they had five hundred years of democracy and peace, and what did that produce? The cuckoo clock." ("L’Italie, sous les Borgia, a connu trente ans de terreur. Mais cela a donné Michel-Ange, Léonard de Vinci et la Renaissance. La Suisse a connu la fraternité et cinq cents ans de démocratie et de paix. Et ça a donné quoi ? Le coucou !"). C'est une tirade brillante, certes, mais injuste, et au demeurant inexacte: le coucou est une invention allemande et non pas suisse.
Cela dit, même s'il serait mal venu (et ingrat) de ma part de dénigrer le pays où je vis, il est vrai que, quand on revient de Russie, la Suisse a nécessairement quelque chose de fade. (J'avais d'ailleurs écrit, toujours à propos de la Suisse, quelque chose sur l'esthétique de la fadeur il y a quelque temps). Pas uniquement par rapport à la Russie d'ailleurs, mais par rapport à tous les peuples qui ont connu une histoire plus tourmentée, la France y compris. On ne peut s'empêcher de penser parfois que la Suisse a vécu des siècles durant en marge de l'histoire, ou du moins de ses convulsions, en spectatrice d'une histoire qui se faisait ailleurs dans les larmes, la sueur et le sang. Ce qui lui a valu le bien-être incomparable dont elle jouit, mais aussi un je ne sais quoi d'un peu trop lisse, propret etc. (La Suisse me fait penser parfois à ces petits pavillons de banlieue à l'entrée desquels leur propriétaire a placé un panneau portant l'inscription "Sam Suffi".)
Oui, j'aime la Suisse, parce que bien entendu on y vit confortablement, mais au fond de moi je lui préfère des pays à la gueule cabossée, des pays qui en ont vu de toutes les couleurs, comme la Russie précisément.

dimanche 1 février 2009

Voda ça pique

Mon fils a actuellement un peu de mal à s'y retrouver entre le russe et le français.
Ce qui donne lieu, comme toujours dans ce genre de situations de bilinguisme, à de curieuses formations hybrides.
Celle-ci par exemple: pour désigner l'eau, il ne connaît que le mot russe : "voda".
Il a par contre l'habitude de dire en français: "ça pique" quand il boit ou mange quelque chose d'amer ou d'aigre etc.
Et, par conséquent, il appelle l'eau gazeuse: "voda ça pique".
J'ai l'impression qu'il faudra fournir un glossaire au personnel de sa crèche.

My Sister Eileen

Preuve s'il en fallait qu'il est certains souvenirs qu'il vaudrait mieux ne pas mettre à l'épreuve du réel, je viens de revoir My Sister Eileen, comédie musicale réalisée par Richard Quine en 1960, que j'avais vue au Ciné-club d'Antenne 2 (enfin, il me semble que ça s'appelait le Ciné-club, je veux parler de cette émission présentée par Claude-Jean Philippe qui passait après Apostrophes), il y a presque 30 ans de cela et dont j'avais gardé un souvenir véritablement enchanté. Je m'étais promis depuis longtemps de m'en procurer le DVD et j'ai fini par le dénicher à Londres l'été dernier dans une boutique de Charing Cross Road. Et bien, je n'y ai rien retrouvé de cette magie que le film avait dans mon souvenir. Disons que c'est une comédie musicale qui se laisse regarder, sans plus. Dommage, un souvenir enchanté de moins.