"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


jeudi 16 octobre 2008

L'antique question du régime


Alors que nous abordons la dernière ligne droite des élections américaines, une réflexion de Kissinger me revient à l'esprit. L'ancien secrétaire d'Etat dit quelque part dans ses mémoires, en commentant telle ou telle campagne présidentielle des années 60, que ce ne sont pas les mêmes qualités qui font un bon candidat à la présidence des Etats-Unis, d'une part, et un bon président des Etats-Unis, d'autre part. Cette remarque pourrait être étendue à d'autres pays qu'aux Etats-Unis, en fait à tous les pays où les gouvernants sont élus à l'issue d'élections au suffrage universel. Il est clair, et aujourd'hui davantage encore qu'à l'époque de Nixon et de Kissinger, que les qualités requises d'un bon candidat, dans une société dominée par la logique de l'image, ont plus à voir avec la capacité à communiquer qu'avec la maîtrise effective des dossiers ou l'habileté à gouverner et à prévoir.
Mais en admettant que l'élection au suffrage universelle ne soit pas la modalité idéale de désignation des gouvernants, que lui substituer? C'est une question aussi ancienne que la philosophie politique, c'est même la question de la philosophie politique dès son origine, à savoir celle du meilleur régime, telle qu'elle a été posée par Xénophon, Platon ou Aristote. Ces derniers, comme on le sait, distinguaient trois régimes: la monarchie (le gouvernement d'un seul), l'aristocratie (le gouvernement de quelques-uns) et la démocratie (le gouvernement de tous), dont ils se proposaient de comparer les avantages et les inconvénients respectifs.
Or, à notre époque, derrière la disparité apparente des doctrines sociales et économiques, on constate une communauté de vue surprenante entre des familles politiques au premier abord très éloignées, quand il s'agit de répondre à cette question éminemment politique du régime au sens traditionnel du terme. Ainsi, et pour paradoxal que cela puisse paraître, la doctrine léniniste selon laquelle il appartient à une minorité éclairée et résolue d'assumer le pouvoir relève-t-elle, abstraction faite des contenus économiques et sociaux du léninisme et toutes choses étant égales par ailleurs, d'une conception du pouvoir politique que la tradition aurait qualifiée d'aristocratique, conception que l'on retrouve, mutatis mutandis, chez les neo-cons américains actuels, (mauvais) disciples de Leo Strauss. Attention: cela ne revient absolument pas à postuler l'identité foncière des uns et des autres, il s'agit simplement de montrer que des théories aux contenus diamétralement opposées peuvent être amenées à apporter la même réponse à la question immémoriale du meilleur régime. Etant entendu que, dans le cas du léninisme, la solution aristocratique est conçue comme provisoire, l'Etat étant appelé à dépérir dans la société socialiste advenue, et le gouvernement de quelques-uns est censé s'exercer au profit de tous et non pas des seuls détenteurs du pouvoir.

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