"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


dimanche 7 septembre 2008

Sartre ou la pose du refus




Je suis plutôt dans de bonnes dispositions envers Sartre en ce moment (ça lui fait une belle jambe là où il est), mais je n'ai pu résister à la tentation, après avoir écrit hier un "Léautaud ou le refus de la pose", d'écrire sur Sartre l'article que voici.
Mes bonnes dispositions envers Sartre s'expliquent par la lecture récente des deux volumes des Lettres au Castor et à quelques autres, qui ne sont quand même pas du pipi de chat.
Je ne suis pas loin de partager ce jugement de Guille que rappelle Simone de Beauvoir dans sa préface au premier volume, Guille qui prédisait à Sartre dans leur jeunesse que les manuels littéraires du futur indiqueraient: "Jean-Paul Sartre, remarquable épistolier, auteur de quelques ouvrages littéraires et philosophiques".
Mais bon, ce n'est pas de ça que je voulais parler aujourd'hui mais bien de ce refus des honneurs ,qui m'apparaît chez Sartre comme une pose parmi d'autres, comme une forme de pose plus raffinée disons. Je pense des honneurs ce qu'en pensait Jean Paulhan: il ne faut ni les rechercher, ni les refuser quand ils vous échoient. Cela tombe très bien que je pense cela d'ailleurs, car jusqu'à présent je ne les ai jamais recherchés, et je n'ai eu l'occasion ni de les refuser, ni de les accepter, car il ne m'en est pas échu.
Il y a quelque chose d'irritant dans cette prétendue fuite des honneurs chez quelqu'un qui, dès son enfance, et la correspondance dont je parlais à l'instant en témoigne, s'est fixé pour but d'atteindre la gloire littéraire. D'autant plus que, comme je l'écrivais dans l'article sur Léautaud, Marc Fumaroli observe, à juste titre, que même un auteur apparemment en rupture de ban comme Sartre venait en fait prendre la place toute chaude du Grand Ecrivain telle qu'une tradition séculaire nous l'avait léguée.
Il y a même quelque chose de ridicule dans cette pose, dans le refus du Nobel en particulier. J'ai visionné il y a quelque temps sur le site de l'INA un extrait d'un reportage télévisé tourné le jour de l'attribution du prix Nobel à Sartre en 1964. La scène a pour décor le boulevard Montparnasse. On y voit Sartre accompagné de Beauvoir fuir les journalistes qui les pourchassent en quête d'une déclaration etc. Et Sartre de traverser la rue à grandes enjambées (pour autant que la taille de Sartre lui permît de faire de grandes enjambées, mais l'intention y était) , et le Castor toute gaite de trottiner à ses côtés. En voyant ça je me pose une question. Sachant qu'on venait de lui décerner le Nobel, si Sartre aspirait réellement à la tranquillité, Montparnasse, qui était de tout temps son QG, était-il l'endroit le plus approprié? Sartre à Montparnasse, ah bah ça alors, qui l'eût cru?! Il y a pas mal d'enfantillage et de coquetterie là-dedans je pense.
Bon, je m'aperçois maintenant que tout ça n'a pas très grande importance en fait. Cela dit, si jamais on décidait à Stockholm de me décerner le prix Nobel, je ne dis pas non. Non pas tant pour le prestige que pour les espèces sonnantes et trébuchantes, qui mettraient du beurre dans les épinards.
J.-P. Sartre, Lettres au Castor, Gallimard, 1983

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