"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


mercredi 10 septembre 2008

Une polémique sur le fascisme



La polémique fait rage en Italie en ce moment à propos de déclarations récentes du maire de Rome, Gianni Alemanno, sur le fascisme. La curiosité me vient de regarder de près de quoi il retourne. Je m'aperçois que toute l'affaire est née d'une interview d'Alemanno parue dans le Corriere della Sera du 8 septembre, jour où le maire de Rome, en voyage ès-qualités en Israël, s'apprêtait à visiter Yad Vashem. Il faut savoir, pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de l'affaire, qu'Alemanno appartient à Alleanza Nazionale, parti conservateur mais se voulant démocratique et respectable né de la dissolution au milieu des années 90 du MSI, l'ancien parti néo-fasciste. L'artisan de ce tournant a été Gianfranco Fini, actuel président de la Chambre des députés, qui, lors d'une visite à Yad Vashem en 2003, pour bien marquer la rupture totale et définitive de son parti d'avec ses origines, avait défini le fascisme comme "mal absolu". Bien. Or, au sein d'Alleanza Nazionale, Alemanno appartient à une tendance qui trouve un peu expéditive cette condamnation totale du fascisme. C'est ainsi par exemple que, dans une interview accordée au Sunday Times et reprise par le Corriere della Sera en mai dernier, peu de temps après son élection à la mairie de Rome, Alemanno a pu déclarer: "Le fascisme fut fondamental dans la modernisation de l'Italie. Le régime assécha les marais, il créa l'infrastructure du pays."
D'où évidemment l'intérêt pour le journaliste venu l'interviewer à Jérusalem de le tester sur la question du fascisme. Et c'est ainsi qu'il en vient au cours de l'interview à lui poser la question suivante, dont toute la polémique est issue:
Q - "Pour vous le fascisme fut-il le mal absolu?"
R - "Je ne ne le pense pas, et je ne l'ai jamais pensé: le fascisme fut un phénomène plus complexe. De nombreuses personnes y adhérèrent en toute bonne foi et je ne vois aucune raison de leur accoler cette définition. Le mal absolu, ce sont les lois raciales voulues par le fascisme, et qui en causèrent la fin politique et culturelle".
Comme je l'ai dit, c'est de cette phrase qu'est née toute la polémique, la gauche l'accusant de faire l'apologie du fascisme etc.
Or, d'un point de vue purement historique, pour autant évidemment que des expressions comme "mal absolu" appartiennent au vocabulaire de l'histoire, Alemanno me semble plutôt dans le vrai. Attention, je me doute bien que ses intentions sont impures, que ses déclarations relèvent peut-être d'un agenda politique, interne à son parti ou plus vaste. Mais ce n'est pas ça qui m'intéresse ici. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir s'il est légitime de faire le distinguo entre le fascisme d'avant et d'après 1938, c'est-à-dire d'avant et d'après l'introduction des lois raciales sous la pression de Hitler. Et bien, d'après moi, oui, cela est légitime. Le fascisme d'avant 1938 est certes un régime illibéral, autoritaire, répressif, mais sans commune mesure avec le nazisme. J'en veux pour preuve le fait que Gramsci, secrétaire du PC italien, n'a pas été sommairement exécuté par le régime comme cela aurait le cas dans l'Allemagne hitlérienne, mais qu'il a, dix ans durant, été successivement assigné à résidence puis emprisonné, et emprisonné dans des conditions, là encore, inimaginables sous le régime nazi: avec la possibilité de lire, de recevoir des livres du dehors, d'écrire, comme les Cahiers de prison nous le montrent, et de correspondre, comme ce chef-d'oeuvre d'humanisme que sont les Lettres de prison et dont je vous conseille vivement la lecture ou la relecture en est la preuve. Je ne veux pas dire par là que sa détention ait été une partie de plaisir, bien sûr. Elle a même certainement été déterminante dans sa mort prématurée. Mais, répétons-le, son destin aurait été tout autre dans l'Allemagne nazie.
Qu'on me comprenne bien, il ne s'agit pas peindre le fascisme en rose, je n'oublie pas qu'il y a eu l'assassinat de Matteotti et d'autres, qu'il y a eu les matraques et l'huile de ricin etc. etc. J'essaie simplement de montrer qu'avant que le fascisme ne se mette au service de l'hitlérisme, il existait une différence de nature entre les deux, que le fascisme n'était pas porteur initialement d'une idéologie raciste potentiellement génocidaire comme le nazisme, à telle enseigne d'ailleurs qu'un certain nombre de représentants de la bourgeoisie juive y adhérèrent, comme le fit la bourgeoisie dans son ensemble, parce qu'elle y voyait un parti d'ordre et un rempart contre les Rouges etc.

Pour conclure sur une note plus légère, les réalisations qu'Alemanno porte au crédit du fascisme dans l'interview accordée au Sunday Times me font penser à cette repartie de Massimo Troisi dans un de ses films qui se passait sous le fascisme: un partisan du régime, répétant un lieu commun de la propagande de l'époque, dit au personnage incarné par Troisi qu'au moins, depuis que Mussolini est au pouvoir, les trains arrivent à l'heure. A quoi Troisi répond: "Alors pourquoi il n'a pas choisi d'être chef de gare plutôt?"

Ci-dessus. Deux photos de Mussolini. la première est la version retouchée de la seconde. On a enlevé le palefrenier pour donner une image plus martiale du Duce. Cette photo illustre bien le caractère à la fois farcesque et tragique du fascisme et de ses rêves de grandeur impériale.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je me demande si le fascisme n'est pas intrinsèquement raciste, dans la mesure où pour gagner un soutien populaire il a besoin de bouc-émissaires qui expliquent les problèmes sociaux autrement que par une analyse de classe. Le fascisme français était raciste bien avant qu'il n'accède au pouvoir à la faveur de la victoire militaire allemande.
Quant au sort de Gramsci, il ne faut pas oublier que la solidarité internationale a certainement influencé les fascistes italiens. Grâce à cette même solidarité alliée à son courage, les nazis eux-mêmes ont du acquitter Dimitrov lors du procès de l'incendie du Reichstag.