"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


mardi 16 septembre 2008

Forever young


Chose promise, chose due: je viens vous rendre compte de la leçon d'adieu du professeur Paravicini grand médiéviste spécialiste entre autres de la papauté et de la curie au Moyen Age, que je vous avais annoncée il y a une dizaine de jours sous le titre "Eternelle jouvence". En effet, comme vous vous en souvenez ou ne vous en souvenez pas, cette leçon avait pour thème: "Chair de vipère et or potable : Rajeunir au Moyen Age".
Avant d'entrer dans le vif du sujet, un mot tout d'abord du rite académique de la leçon d'adieu. Il me semble que c'est une belle chose. Je crois, comme l'écrit Saint-Exupéry dans Citadelle, que "les rites sont dans le temps ce que la demeure est dans l'espace" et que l'on "n'a rien à attendre d'une année sans fêtes (...) ni d'une patrie sans coutumes". Oui, il est bon que tous les grands passages de la vie personnelle et de la vie collective soient marqués par quelque cérémonie solennelle.
Bien. Passons à la leçon proprement dite. En voici le suc. Le mythe de l'éternelle jeunesse, la recherche de l'elixir de longue vie ne datent pas d'hier, ni de l'apparition du lifting et du botox. Il suffit pour s'en convaincre de lire la Bible ou les auteurs de l'Antiquité païenne. Ainsi, la Genèse nous dit qu'avant la Chute, l'arbre de vie assurait à Adam l'immortalité, et on sait que les Patriarches vécurent plusieurs siècles. Pline l'Ancien quant à lui, citant Ctésias, nous parle d'une branche du peuple des Macrobes, les Pandes, où l'on vivait 200 ans etc. Ces mythes furent toutefois mis en sourdine pendant toute la première partie du Moyen Age, qui, fortement empreinte d'augustinisme, plaçait dans l'au-delà tous ses espoirs d'immortalité. Puis au XIIIe siècle, sous l'influence, semble-t-il, de la diffusion des écrits des médecins arabes, on voit soudain apparaître toute une littérature consacrée aux moyens de rajeunir, d'assurer sa longévité, de prévenir les effets de la vieillesse etc., dont la perspective n'est plus théologique ou eschatologique mais résolument naturaliste, scientifique pourrait-on dire, et qui se propose d'atteindre ses effets hic et nunc. Citons notamment parmi ces écrits le Traité de Goet, écrit vers 1240, et dont il nous reste un grand nombre de manuscrits, preuve de sa grande diffusion à l'époque. Goet nous dit que ce qui importe pour empêcher le vieillissement du corps, c'est d'en maintenir l'égale complexion, par quoi il entend un juste équilibre entre les principes du chaud et du froid et du sec et de l'humide au sein de l'organisme. Pour ce faire, Goet nous suggère sept remèdes, qu'il appelle occulta, parce qu'ils ont été jusqu'ici gardés secrets, connus seulement de quelques sages. Ces sept remèdes sont, prenez note: 1) l'or; 2) l'ambre; 3) la chair de vipère; 4) le romarin; 5) le fumus iuventutis; 6) le coeur de cerf et 7) le bois d'aloès. Six des septs remèdes énumérés concernent des substances auxquelles, à un titre ou à un autre (inaltérabilité etc.), la tradition attribuait depuis longtemps des vertus rajeunissantes. Le fumus iuventutis mérite par contre qu'on s'y arrête. Il renvoie à l'idée que "l'odeur de la jeunesse", entendons par là l'odeur d'une jeune fille, peut avoir des effets bienfaisants sur un corps vieillissant. Ce remède tire son origine d'un épisode biblique (Rois 1,1), dans lequel, par sa seule présence dans le lit du roi David vieillissant, la jeune vierge Abishag la Sunamite lui procure un réconfort, sans qu'il la touche.
La conception exposée dans le Traité de Goet sera bientôt reprise de façon systématique par le philosophe Roger Bacon, chez lequel l'or devient l'elixir de longue vie par excellence, la médecine étant une espèce d'alchimie du corps. En effet, comme l'alchimie au sens strict se propose de restaurer l'intégrité des métaux corrompus, l'alchimie des corps vise à rétablir le corps dans son équilibre etc.
Toutes ces théories exercèrent une très grande influence, et l'on sait que de nombreux prélats de l'époque prenaient leur dose d'or quotidienne sous différentes formes: "or potable", c'est-à-dire dilué dans de l'eau ; or en poudre etc. Un témoignage du début du XIVe siècle nous rapporte par exemple que le Cardinal de Tolède consommait des petits pains farcis d'électuaires à base d'or etc. Cette croyance dans les vertus de l'or a traversé les siècles et elle a cours encore de nos jours d'ailleurs, comme le montrent les nombreux produits cosmétiques en contenant encore en vente à l'heure actuelle. C'est sur cette remarque ayant trait au monde contemporain que s'est conclue cette belle leçon d'adieu du Professeur Paravicini, que je me suis efforcé de résumer du mieux qu'il est m'a été possible.

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