"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


mardi 23 septembre 2008

Ces petits riens qui sont tout


Je n'arrive plus à mettre la main dessus, mais j'ai lu récemment dans je ne sais plus quel quotidien un article enthousiaste sur une nouvelle invention destinée aux randonneurs des montagnes suisses. Il s'agit d'un petit appareil multimédias qui vous permet de choisir un itinéraire de randonnée et qui, à intervalles réguliers tout au long du parcours, vous dispense, sous formes de fiches pédagogiques, de petites vidéos etc., des informations sur la faune et la flore que vous êtes appelé à rencontrer. Mettons, par exemple, qu'au km 4 de l'itinéraire il pousse habituellement de la gentiane (j'invente): et bien une petite fiche vous explique tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la gentiane sans oser le demander. Si une colonie de bouquetins (j'invente encore) a élu domicile aux alentours du km 8, mais que, manque de bol, vous ne voyez pas l'ombre d'un bouquetin à la ronde, qu'à cela ne tienne: il vous suffit d'appuyer sur une touche pour visionner un petit film qui vous montre un troupeau entier de bouquetins etc. etc. Les inventeurs de cette petite merveille soutenaient dans l'interview qui accompagnait l'article en question que le principal mérite de cet appareil consistait dans le fait que les gens qui, auparavant, randonnaient sans comprendre les paysages qu'ils traversaient, allaient enfin avoir le moyen de randonner intelligemment. En ce qui me concerne, je crois que cette invention s'inscrit dans cette immense entreprise de balisage intellectuel du monde qui devient de jour en jour plus terrifiante. Cela fait déjà un certain temps qu'on ne peut plus visiter une ville, que dis-je? un village, un hameau, sans que des panneaux vous indiquent, à grands renforts d'explications didactiques, ce qu'il vous faut regarder, parce que cela fait partie du patrimoine etc. (Je vais revenir bientôt sur la question du patrimoine, de la tarte à la crème du patrimoine). Voici maintenant que la chose s'étend même à la nature. Il sera bientôt inconcevable, j'en ai bien peur, de se promener en montagne sans savoir distinguer la gentiana acaulis de la gentiana verna et l'une et l'autre de la gentiana punctata, ou sans être à même de différencier au premier coup d'oeil le crottin du bouquetin d'avec celui du chamois. Il ne sera même plus pensable de se promener, en ville ou à la montagne, simplement pour ne penser à rien. Et pourtant, comme disait Serge Gainsbourg:

"Mieux vaut n'penser à rien
Que n'pas penser du tout
Rien c'est déjà
Rien c'est déjà beaucoup
On se souvient de rien
Et puisqu'on oublie tout
Rien c'est bien mieux
Rien c'est bien mieux que tout
".

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