"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


jeudi 18 septembre 2008

L'argent du beurre


Le mouvement dada, on le sait, a vu le jour à Zurich, pendant la Première Guerre mondiale, très exactement en 1916. C'est dans un café de la Spiegelstrasse qu'ils avaient rebaptisé "Cabaret Voltaire" que les fondateurs de ce mouvement d'avant-garde parmi les plus radicaux du XXe siècle - Tristan Tzara, Hugo Ball, Hans Arp... - se réunissaient. L'endroit existe encore, et il abrite depuis quelques années un centre "alternatif" qui entend perpétuer l'esprit irréverencieux de dada. Irrévérencieux, le mot est peut-être un peu faible, puisque le centre en question, entre autres activités, fabrique et vend des T-shirts à l'effigie des membres de la bande à Baader et organise des cours de tags sauvages. Or, l'association qui gère le centre reçoit chaque année une subvention de 315 000 francs (soit 200 000 euros environ) de la municipalité zurichoise. C'est pour ou contre le maintien de ce subside, nous rapporte le journal Le Temps dans son édition d'aujourd'hui, que les Zurichois devront se prononcer lors d'un référendum municipal organisé à l'initiative de certains partis politiques qui se tiendra le week-end du 27 septembre. (N'oublions pas que la Suisse est le pays de la démocratie directe, et que tant au niveau fédéral, que cantonal ou communal, il suffit de réunir un certain nombre de signatures pour obtenir la tenue d'un référendum, si bien que les citoyens sont appelés à exprimer leur opinion sur une foule de questions à longueur d'année). Comme toujours dans ces cas-là (et ils sont légion à notre époque, car rien n'est plus répandu aujourd'hui que ce que Philippe Muray, me semble-t-il, appelait "l'académisme de la subversion"), je pense qu'il est tout à fait souhaitable que le centre en question se fasse sucrer sa subvention. Quoi? on ne peut pas se revendiquer d'un mouvement foncièrement anarchiste, ennemi de toutes les institutions, et demander à ces même institutions de vous financer grassement. Je ne sache pas que Karl Marx ait demandé une bourse au gouvernement prussien pour écrire Das Kapital.
Oui, décidément, ces rigolos qui voudraient être payés sur l'argent public pour éprouver dans le confort l'ivresse de la rébellion me font penser à ce Cantharus auquel s'adresse Martial dans l'une de ses épigrammes. Ce Cantharus est un pique-assiette qui mange tous les soirs gratuitement chez les autres, mais se permet en même temps de critiquer ses hôtes, de médire de tout le monde. "Si je peux te donner un conseil - lui dit à peu près Martial en conclusion de son épigramme -, cesse un peu de faire le fort en gueule. Liber non potes et gulosus esse: tu ne peux pas être à la fois libre et gourmand".
Et oui les gars, c'est comme ça: on ne peut pas être à la fois libre et gourmand.




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