"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


lundi 15 septembre 2008

La plaie du nationalisme

Je ne m'en cache pas, je n'ai pas une grande sympathie pour les nationalismes de l'Europe centrale et balkanique. En fait, je n'ai pas une grande sympathie pour le nationalisme en général, et je suis donc particulièrement hostile à ses variétés les plus virulentes, comme le sont précisément celles des régions en question. Je ne suis pas le seul à penser que le démembrement de l'Empire austro-hongrois à l'issue de la Première Guerre mondiale a été une énorme erreur, d'autant plus que, si on l'avait maintenu (moyennant les réformes politiques nécessaires bien évidemment), l'ascension de Hitler aurait été bien moins probable etc.
Une foule de faits ont le don de m'irriter quand je voyage en Europe centrale. Il est assez plaisant par exemple que Prague exploite de façon à ce point éhontée la mémoire de Franz Kafka (avec d'ailleurs des formes de merchandising qui battent des records de vulgarité), quand on sait que la jeune république tchécoslovaque née de la guerre 14-18 s'est employée à effacer systématiquement toute trace de la présence séculaire dans le pays de cette importante communauté germanophone dont précisément Kafka faisait partie. Et l'on pourrait multiplier les exemples de ce genre dans tous les pays de la région.
Toutefois, le pays où j'ai eu récemment le sentiment le plus aigu des dangers potentiels que recèle le nationalisme est sans aucun doute l'Ukraine. Me trouvant en mai dernier à Lvov, bastion à la fois du nationalisme ukrainien et de la "Révolution orange" (et les deux choses sont liées), je décidai de visiter le musée historique ukrainien. Me voici donc parcourant une succession de salles où des panneaux illustrent l'épopée nationale ukrainienne depuis le Moyen Age. Les explications étant en ukrainien, je n'y comprends pas grand-chose, mais l'iconographie permet de saisir immédiatement l'intention hagiographique qui a présidé à l'organisation du musée. Ce qu'on nous donne à voir, c'est la cohorte des héros qui ont fait la Nation ukrainienne. Bien. J'arrive dans la salle consacrée au XXe siècle. Un gardien à la tête un peu inquiétante s'y trouve. Il m'adresse la parole sous je ne sais plus quel prétexte. Je lui dis que je suis Français. Il il ne parle pas anglais mais se débrouille en allemand, comme pas mal de gens en Ukraine de l'Ouest. Il me fournit quelques explications sur l'exposition. Je commence à parcourir la salle. Il me suit. Je sens qu'il éprouve une curiosité qu'il ne se donne même pas la peine de dissimuler pour cet étranger qui visite le musée national ukrainien. Or voici qu'une photo représentant Petlioura attire mon attention. Petlioura, on le sait, fut après la Première Guerre mondiale le président d'une éphémère république ukrainienne dont les troupes, dans leur lutte contre l'Armée rouge, se rendirent responsables de pogromes, en vertu de l'équation bien connue Juif = bolchévique. Comme je m'arrête devant cette photo et que j'essaie de deviner ce que la légende en ukrainien peut bien dire, voici mon gardien qui s'approche de moi et me dit en allemand d'un air complice: "Il est enterré à Paris, au cimetière du Père-Lachaise", comme si cette circonstance créait quelque lien spécial entre lui et moi. Je me suis borné à lui répondre froidement: "Ach so?". (Je peux être particulièrement glacial en répondant "Ach so?"). Il faut savoir que l'Ukraine a réhabilité en 1991 la mémoire de Petlioura. On est quand même en droit de penser que l'Ukraine indépendante pouvait se choisir des figures tutélaires plus fréquentables, me semble-t-il.

P.S:.Renseignements pris, Petlioura n'est pas même enterré au Père-Lachaise, mais à Montparnasse.

Ci-dessus: armoiries de l'Empire austro-hongrois.

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