"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


lundi 22 septembre 2008

La tristesse d'Andreï


Une chose qu'on a tendance à oublier au sujet de l'Union soviétique, c'est qu'elle était précisément une union. Des états qui sont depuis devenus indépendants, avec ce que cela suppose de frontières, et donc d'obstacles à la circulation des personnes etc., formaient à l'époque soviétique un espace unique, au sein duquel régnait une grande mobilité, qui compensait d'ailleurs en partie l'impossibilité pour la majorité des citoyens de se rendre à l'étranger. Il ne s'agit pas de représenter de façon idyllique la coexistence des différents peuples et des différentes républiques au sein de l'URSS ni d'ailleurs précédemment au sein de la Russie tsariste dont l'URSS était à beaucoup de points de vue l'héritière territorialement parlant. On ne peut pas passer sous silence la politique de russification forcée qui a caractérisé certaines phases de l'histoire soviétique, ni a fortiori les aspects criminels de la politique des nationalités de Staline, qui s'est traduite dans certains cas par des déportations massives de populations d'un territoire à l'autre dans les conditions que l'on sait. Il n'en reste pas moins, comme je l'ai dit, que l'URSS post-stalinienne permettait à ses citoyens une grande mobilité d'une république à l'autre, et qu'il n'était pas rare par exemple qu'une même personne vive successivement, pour des raisons de carrière ou autres, à Moscou, à Minsk, à Kiev etc.
De plus, l'union signifiait aussi, entre autres choses, qu'un diplôme obtenu dans n'importe laquelle des républiques était reconnu dans toutes les autres.
La chute de l'URSS a changé tout cela, avec des effets très concrets sur la vie quotidienne des personnes. On s'en aperçoit en parlant avec les gens sur place. Je me souviens par exemple d'Andreï, un garçon d'une trentaine d'années, avec lequel j'ai parlé une journée entière au printemps dernier dans un train reliant Kiev à Sébastopol. Andreï était d'une famille russe qui, toutefois, au moment de la chute de l'URSS, habitait Kiev. Pour des raisons liées à la profession du père, famille est restée en Ukraine et a opté pour la nationalité ukrainienne mais, par la suite, Andreï a voulu aller faire ses études à Moscou. Il a donc fréquenté pendant deux ans l'Université de Moscou, où il passé ses examens etc. Puis, il a voulu revenir à Kiev pour terminer ses études. Seulement, il s'est aperçu alors que l'université ukrainienne ne reconnaissait plus les examens russes, et qu'il lui fallait donc repartir de zéro. On conçoit aisément son amertume. De la même façon, alors que, dans son enfance, il se rendait de temps en temps dans les pays baltes où il avait de la famille, cela ne lui est plus possible, du moins plus aussi facilement, depuis l'indépendance de ces pays et, surtout, leur adhésion à l'Union européenne.
A parler avec Andreï, j'ai senti qu'il éprouvait une certaine nostalgie pour l'époque soviétique, une nostalgie qui n'avait pas de contenu idéologique, mais qui portait sur l'URSS en tant qu'union.
Et si l'on y pense, il est assez paradoxal qu'au moment même où l'Europe occidentale abolissait ses frontières internes et avançait sur la voie de l'intégration, par exemple en mettant en place une politique de reconnaissance mutuelle des diplômes etc., l'Europe orientale se "renationalisait", multipliant de la sorte les barrières entre des peuples qui jusque-là avaient vécu au sein d'un même ensemble.

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