"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


vendredi 12 septembre 2008

Métèque à Paris 3: Polanski


Je continue ici la recension du livre Artiste et Métèque à Paris commencée il y a quelques jours. Je parlerai aujourd'hui de Polanski. Même si Lourcelle n'est pas très flatteur à son égard (mais bien peu de cinéastes contemporains trouvent grâce à ses yeux, disons-le – et la plupart du temps à juste titre, d'ailleurs), je crois que Polanski est un cinéaste important. Aucun réalisateur n'a su mieux que lui illustrer cette dialectique inquiétante de l'Heimlich et de l'Unheimlich, de l'intime et de l'étrange(r), à laquelle Freud a consacré des analyses si pénétrantes dans un article publié dans un recueil dont le nom m'échappe en ce moment précis. Je pense notamment au Locataire évidemment.

Mais Polanski n'est pas seulement un cinéaste important, c'est aussi quelqu'un qui a des choses intéressantes à dire sur l'art et l'histoire du cinéma. Je m'en étais déjà aperçu en regardant l'année dernière un documentaire de Serge July consacré au tournage de Tess. Et cela s'est trouvé confirmé à lecture de l'entretien qu'il a accordé ici. C'est ainsi que Polanski raconte l'impression que lui a faite le monde du cinéma français quand il est arrivé à Paris au début des années 60. Il était persuadé ("je crois que j'étais trop endoctriné à l'envers", dit-il) de trouver en France une grande supériorité technique par rapport aux pays socialistes, mais en fait, reconnaît-il, c'est l'inverse qui était vrai car le cinéma soviétique était en un sens techniquement plus proche du cinéma hollywoodien, puisque c'est précisément à Hollywood que ses fondateurs étaient allés étudier les principes de la production cinématographique.
Il dit par ailleurs qu'à son avis la Nouvelle vague a été à l'origine d'une crise durable du cinéma français, parce que par son amateurisme technique pour ainsi dire revendiqué, qui a séduit un temps les producteurs, elle a entraîné la disparition de toute une série d'équipements (studios etc.) et de savoir-faire. La Nouvelle vague n'est d'ailleurs pas sa tasse de thé. Il lui reproche de pratiquer un cinéma trop littéraire et pas assez visuel. Cela peut sembler paradoxal si l'on pense que c'est précisément le grief que la Nouvelle vague faisait à ses prédécesseurs (la primauté du scénario sur le langage visuel, la politique des auteurs, consistant précisément à dépouiller le scénariste de la qualité d'auteur du film pour l'accorder au réalisateur etc.), mais c'est pourtant tout à fait vrai à mon avis: quelles que soient les grandes déclarations théoriques de Godard sur la primauté de l'image, son cinéma reste l'un des plus verbeux qui soit.

Lise Bloch-Morhange et David Alper, Artiste et Métèque à Paris, Buchet-Chastel, 1980.

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