"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


dimanche 28 septembre 2008

Lost in translation


On trouve dans l'édition d'aujourd'hui de Bücher am Sonntag, le supplément littéraire de NZZ am Sonntag, une recension de l'édition en allemand du gros pavé de plus de 1000 pages que l'historien anglais Orlando Figes a consacré à la vie quotidienne sous Staline. Ce n'est pas le livre en question qui m'intéresse ici - je ne l'ai pas encore lu - mais la remarque par laquelle Carsten Goehrke, l'auteur de la recension, lui-même historien (il enseigne l'histoire d'Europe de l'Est à l'Université de Zurich), conclut son article, par ailleurs élogieux. Goehrke exprime le regret que Figes, comme la plupart des historiens anglosaxons, n'ait pas eu recours à la riche littérature en langue allemande disponible sur la question du stalinisme, exception faite pour les auteurs traduits en anglais.
Goehrke met là le doigt sur un problème, je dirais sur des problèmes, qui vont bien au-delà du cas d'espèce.
Le problème le plus évident réside dans le peu d'intérêt accordé dans les différents pays aux traductions, qui sont pourtant un moyen précieux de circulation des idées. Même parmi les livres de tout premier plan, seul un nombre infime est traduit, et pas toujours dans les meilleures conditions. Aux Etats-Unis, un traducteur travaillant pour le monde de l'édition est une sorte de forçat intellectuel sous-payé. On peut lire à ce sujet le témoignage de Paul Auster dans son ouvrage autobiographique Hand to Mouth. Il existe certes, dans certains pays, des dispositifs d'aide à la traduction, mais ils sont plus symboliques qu'autre chose. C'est ce qui fait, par exemple, qu'il a fallu attendre ces dernières années pour disposer en français d'une traduction digne de ce nom des ouvrages principaux de Max Weber, grâce à Jean-Pierre Grossein.
Mais le problème de la traduction est lié à un autre problème, bien plus profond, celui de l'incroyable provincialisme qui caractérise la recherche en sciences sociales aujourd'hui. La plupart des sociologues, historiens etc. évoluent en vase clos dans le petit monde de leur vie académique nationale, sans vraiment se soucier de ce qui se fait et s'écrit dans les autres pays. Les colloques internationaux, le développement des technologies, qui permet une circulation bien plus facile des publications etc. ne doivent pas faire illusion: la "République des lettres" telle qu'elle existait aux XVIIe et au XVIIIe siècle était bien plus authentiquement internationale que ne l'est le monde scientifique d'aujourd'hui. Il suffit pour s'en convaincre de jeter un coup d'oeil à l'immense correspondance épistolaire qu'échangeaient les savants de l'époque depuis les quatre coins de l'Europe.
Nous avons beau nous rengorger à longueur de temps au sujet de nos sociétés multiculturelles etc., nous sommes bien moins cosmopolites que ne l'étaient les siècles passés.

Illustration ci-dessus: Dom Jean Mabillon, un intellectuel authentiquement cosmopolite.

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