"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


vendredi 12 septembre 2008

Russie: par delà les clichés


On s'interdit de comprendre la complexité du conflit récent en Géorgie si on perd de vue le fait que, au-delà des considérations purement stratégiques, c'est l'identité russe qui est en jeu ici, une identité qui fait d'objet depuis la chute de l'URSS d'un lent et douloureux processus de redéfinition.
En effet, comme le dit Jean Radvanyi dans un petit livre très éclairant publié sous la direction de Marc Ferro, l'entreprise de colonisation par laquelle la Russie moderne s'est constituée, à partir du XVe siècle, est "par bien des aspects (...) demeurée unique" par rapports aux colonialismes "classiques" français et britanniques. "L'absence de relation coloniale du type métropole/outre-mer - ajoute-t-il - impliquait un rapport singulier entre les Russes et les régions qu'ils dominaient", si bien que "d'une certaine façon, l'empire était la métropole". Bref, pour citer un autre historien, Serhii Plokhy, "western powers like Britain had empires, but Russia was an empire". Si bien qu'avec l'éclatement de l'URSS, observe Radvanyi, on s'est retrouvé face à ce paradoxe que "si la plupart des nouveaux Etats indépendants (...) n'avaient guère connu d'existence propre", la Russie elle non plus "n'avait jamais connu de frontières stabilisées autres que celles de son Empire." On conçoit dès lors la difficile redéfinition identitaire à laquelle la Russie se trouve confrontée depuis maintenant presque deux décennies, et qui, comme le note Radvanyi, "[ne concerne] pas seulement des dirigeants en mal de puissance, mais aussi l'ensemble [de la] population". Et je dirais qu'on a tout lieu de se féliciter du sang-froid dont les dirigeants russes avaient fait preuve jusqu'ici, en ne remettant pas en cause , même au sujet de régions sensibles comme la Crimée, les Accords de Minsk, qui, en 1991, avaient posé le principe de l'intangibilité des frontières entre les anciennes républiques. Bref, disons-le: il a fallu la politique continûment hostile de l'OTAN depuis des années et l'aventurisme du président géorgien pour que la Russie voie rouge.

J. Radvanyi , "Les Russes et leur espace, une relation complexe" in M. Ferro (dir.), Russie, peuples et civilisations, La Découverte, 2005.
S. Plokhy, "Sevastopol in Russian Historical Mythology", Journal of Contemporary History. S. Plokhy lui-même paraphrase Geoffrey Hosking.



Aucun commentaire: