"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


jeudi 25 septembre 2008

Le plaisir du banal


Je vais vous dire une banalité sur la musique, mais comme c'est une banalité que j'ai redécouverte par moi-même, c'est une banalité précieuse en quelque sorte. Il y a un certain plaisir à élire domicile dans les lieux communs, et à les faire nôtres, non?
Borges dit quelque chose du genre dans l'entretien qu'il a accordé à Madeleine Chapsal, et qui figure dans le livre dont je vous parlais il y a quelques jours. "Quand j'étais jeune- dit Borges - comme tous les jeunes gens, j'avais le goût des choses complexes. Maintenant, plus cela va, plus je vais vers la simplicité. J'utilise les métaphores les plus usées, au fond c'est cela qui est éternel, qui intéresse tout le monde: les étoiles ressemblent à des yeux, par exemple, ou la mort c'est comme le sommeil..."
Mais revenons à la musique.
Voilà: plus j'écoute de jazz, comme c'est le cas dernièrement, et plus je me dis que ce qui fait le plaisir spécifique du jazz, c'est d'écouter et de comparer les différentes versions des "standards", ces classiques du répertoire jazzistique, données par différents artistes. C'est par la comparaison de ces différentes versions d'un même morceau qu'on parvient à saisir la personnalité propre de chaque interprète, chaque interprétation faisant mieux apparaître, par contraste, la spécificité des autres, et inversement.
On me dira que cela ne vaut pas seulement pour le jazz, et qu'il en va de même pour la musique classique, où l'exécution d'une même composition par différents musiciens fait ressortir leur personnalité etc. C'est vrai, mais seulement jusqu'à un certain point, car l'interprète d'une composition classique n'a pas la même latitude dans l'exécution que le musicien de jazz qui joue un standard. Cela parce que le "standard" est plus proche, pour emprunter un exemple au domaine du théâtre, du canevas de la Commedia dell'arte que de la partition de musique classique. Il fournit un thème sur lequel l'interprète est libre d'improviser à sa guise. Et c'est cette "liberté surveillée" qui fait à mon avis tout le charme des standards dans la musique de jazz, par rapport à l'improvisation pure.

Madeleine Chapsal, Les Ecrivains en personne, 10/18, 1973.

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