"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


mardi 2 septembre 2008

Lucas Vrain ou la vérité d'un faussaire


Je suis tombé par hasard il y a quelques jours dans une librairie d'occasion sur un petit bouquin paru en 1924 par les soins de Georges Girard et intitulé Le Parfait Secrétaire des grands hommes. Il s'agit d'une "anthologie" de Lucas Vrain, sans conteste l'un des plus grands faussaires littéraires de tous les temps.

En effet, Vrain fabriqua et parvint à revendre à des collectionneurs, sous le Second Empire, pas moins de 27000 faux, pour l'essentiel de prétendues lettres écrites par des personnalités historiques, religieuses, littéraires ou scientifiques du passé.

Ses contrefaçons couvrent plus de deux milles ans d'histoire, puisqu'on y trouve aussi bien des lettres de Thalès au roi des Gaules, que d'Alexandre le Grand à Aristote, d'Alcuin à Charlemagne ou encore de Molière au prince de Conti. On y trouve même , c'est tout dire, des missives de Lazare à saint Pierre.

Et le plus drôle dans l'histoire, c'est que ces personnages, quelle que soit l'époque à laquelle ils appartiennent, dans des lettres qui se donnent pour des écrits autographes et qui devraient donc nécessairement être écrites dans la langue de leur auteur, s'expriment tous sans exception dans une espèce de français du seizième siècle, dont l'archaïsme est censé être un gage d'authenticité.

Le plus grand exploit de Vrain (exploit qui lui valut à la fin de passer deux années en prison pour fraude) fut de parvenir à berner un important mathématicien de l'époque, membre de l'Institut, qui prit pour authentiques de prétendues lettres de Pascal à Newton jeune, dont il ressortait que Pascal avait découvert la loi de l'attraction avant Newton lui-même. Ces lettres furent publiées par l'Académie des Sciences, et une controverse impliquant des savants de toute l'Europe s'ensuivit, jusqu'à ce qu'on découvre la supercherie.

Il est intéressant de noter que, au-delà de cette affaire spécifique, de nombreux faux de Vrain tendaient à exalter la grandeur nationale de la France, parfois même de façon si énorme qu'on se demande qui a bien pu croire un instant à ses mystifications. C'est ainsi qu'on trouve parmi ses réalisations une lettre d'Archimède à Hiéron, dans laquelle le grand savant grec confie à son correspondant qu'à son avis la langue originelle de l'humanité est la langue celtique (autrement dit gauloise bien sûr) "qui semble estre la même langue dont se servait Moyse (= Moïse), que l'on doit considérer comme le plus ancien escrivain qui se présente à nous dans l'ordre des temps".

De tels textes prêtent à rire évidemment, et Vrain appartient de plein droit à la catégorie de ceux que Raymond Queneau appelait les "fous littéraires". Comme tous les fous cependant, il a quelques vérités à nous délivrer sur les gens normaux. N'oublions pas que toute l'historiographie du XIXe siècle, j'entends l'historiographie officielle, faite par les professeurs dûment reconnus et révérés, est pour l'essentiel non seulement nationale, mais nationaliste, et pleine d'outrances qui n'ont rien à envier à quelqu'un comme Vrain.

A ce titre, les faux de Vrain sont peut-être bien la vérité d'une époque.

La Revue de la Bibliothèque nationale de France a consacré un article à Vrain sous la plume de Marie-Laure Prévost dans son n°13 2003. Par ailleurs, Le Parfait Secrétaire des grands hommes a été réédité récemment par le petit éditeur Cartouche.

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