"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


samedi 20 septembre 2008

Sartre, droit de réponse


J'avais écrit il y a deux semaines de cela un article sur Sartre, pas franchement hostile - j'y disais même être en ce moment dans de bonnes dispositions à son égard, après une lecture récente des Lettres au Castor - mais où je le brocardais un peu à propos de ce que j'appelais sa "pose du refus" vis-à-vis des honneurs, notamment au sujet du Nobel qu'il avait refusé etc.
Sartre, qui n'est pas du genre à se laisser faire, n'a pas tardé à me répondre et à me remettre à ma place. Il l'a fait par le truchement d'un vieux recueil d'interviews d'écrivains publié par Madeleine Chapsal, qui m'est tombé sous la main ce matin dans un bac de vieux poches d'occasion de la librairie de la Place de la Louve. L'entretien date de 1959. A Madeleine Chapsal qui lui demande (on a vu plus originale comme question à poser à Sartre en 1959, mais passons): "Ainsi vous croyez que la littérature est toujours engagée?", Sartre répond ceci: "Si la littérature n'est pas tout, elle ne vaut pas une heure de peine. (...) Si chaque phrase ne résonne pas à tous les niveaux de l'homme et de la société, elle ne signifie rien. (...) Il faut vouloir tout si l'on veut espérer faire quelque chose." Chapsal le relance alors en lui demandant: "Ecrire quelque chose qui soit tout, n'est-ce pas finalement ce qu'espère tout écrivain?". A quoi Sartre répond (c'est moi qui souligne) : "Je le pense, je le souhaite à tous. Mais j'ai peur de l'humilité de certains. Des académies, des légions d'honneur: comme il faut être humble!". Voilà je pense la meilleure réponse qu'il pouvait apporter à ma critique somme toute un peu banale. Son refus des honneurs n'était pas dicté par la vanité et la fausse modestie du poseur, mais par l'orgueil assumé de celui qui veut tout. Tout honneur, toute breloque étant bien évidemment dérisoire par rapport à cette ambition-là.

Madeleine Chapsal, Les écrivains en personne, 10/18, 1973.


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