"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


dimanche 16 novembre 2008

Un café avec Flaubert


En prenant mon café ce matin, je pense à Houellebecq et Beigbeger. Cela ne m'arrive pas souvent, cela en fait ne m'arrive jamais. J'avoue ne pas connaître du tout la littérature des vingt dernières années. Je ne m'en vante pas, je n'en désole pas: c'est comme ça. J'en suis venu à penser à eux simplement parce qu'un article du Courrier de Russie, "bimensuel économique et culturel en langue française" publié ici, les mentionnait en passant pour dire qu'ils venaient de temps en temps se saouler ensemble à Moscou. Sur Beigbeger, je ne m'étendrai pas: ce n'est ni de près ni de loin un écrivain, il suffit d'avoir lu quelques lignes d'un de ses livres, comme il m'est arrivé de le faire dans une librairie histoire de voir de quoi il retournait, pour s'en convaincre. Sa carrière d'écrivain n'est ni plus ni moins qu'un prolongement de sa carrière au sein du monde publicitaire dont il est issu, à cette différence près qu'il est devenu lui-même le produit qu'il s'agissait de promouvoir. La cause est entendue, il serait humiliant d'y consacrer plus de temps.
S'agissant de Houellebecq, les choses sont différentes. De lui aussi, je n'ai guère lu que quelques lignes, mais elles m'ont suffi pour comprendre que j'avais affaire à un véritable écrivain, quelles que soient les réserves que je puisse avoir sur le type d'écrivain qu'il incarne.
Car l'impression que ces quelques lignes m'ont faite, c'est qu'il appliquait de façon un peu mécanique, à la réalité actuelle, les procédés du Flaubert de Madame Bovary et de L'Education sentimentale.
C'est pourquoi, de fil en aiguille, en fait ma méditation matinale devant ma tasse de café a bientôt pris Flaubert pour objet. Je crois que le Flaubert de Madame Bovary et de L'Education sentimentale est foncièrement sarcastique. C'est la déception qui s'y exprime. La déception de celui qui a cru en beaucoup de choses, la déception sentimentale du Flaubert adolescent, encore imprégné de romantisme, et la déception politique du Flaubert qui s'était enthousiasmé pour la Révolution de 1848 etc. (Et je crains que beaucoup d'imitateurs de Flaubert n'aient pas compris ce que son sarcasme devait à ses propres désillusions, et ont cru que le détachement cynique était la clef de la réalité. On a le même genre de malentendu qu'avec Baudelaire: Baudelaire voulait montrer les fleurs du mal; une grande partie de ses épigones, et ils sont légion dans tous les arts, croient quant à eux que le mal lui-même est une fleur, et que les fleurs ne sont pas des fleurs.) Ces deux romans sont grinçants, parce qu'ils correspondent à un stade où cette déception n'avait pas encore été digérée et dépassée. C'est pourquoi je leur préfère Bouvard et Pécuchet qui, même s'il est inachevé, est d'après moi l'un des plus grands romans du XIXe siècle. Bouvard et Pécuchet n'est pas sarcastique, il est joyeux. Joyeux d'une joie philosophique, spinozienne. C'est le grand livre d'un esprit et d'une âme apaisés, qu'il me vient tout à coup l'envie de relire dès que possible.

Aucun commentaire: