Russie éternelle

Katia, la mère de ma femme, est céramiste. Elle conçoit et réalise elle-même toutes sortes d'objet en céramique, qu'elle écoule ensuite par différents canaux. Cela peut aller de simples tasses, telles que celles qu'elle avait réalisées l'été dernier, aux armes de Sébastopol, à l'occasion du 225e anniversaire de la fondation de la ville par Catherine II, à des créations beaucoup plus proches de la sculpture, que je devrais avoir l'occasion de voir bientôt. Elle me montre aujourd'hui sa dernière création. C'est un bel objet, une sorte de grande aiguière dont le corps est constitué d'une aigle bicéphale tenant dans ses serres un globe et un sceptre: l'emblème héraldique de la Russie tsariste, qui a été repris par la Fédération de Russie. Elle dit l'avoir réalisée pour célébrer la béatification par l'Eglise orthodoxe de Nicolas II et de sa famille. Elle est très religieuse, elle l'a toujours été, elle l'était déjà, et ne s'en cachait pas, l'affichait même avant la perestroïka, autrement dit à une époque où cela pouvait vous valoir des ennuis. Autrement dit, elle n'appartient pas à cette catégorie de personnes qui arborent aujourd'hui leur foi orthodoxe par opportunisme ou pour des raisons purement politiques. J'y vois l'une des nombreuses manifestations de la façon dont la Russie d'aujourd'hui cherche, par différentes voies, à renouer avec son passé. Certains, comme je le disais hier, englobent dans ce passé l'époque soviétique, soit parce qu'ils sont effectivement nostalgiques de ce passé-là, soit parce qu'ils y voient de toute façon un moment dans l'histoire de la Russie éternelle (moment qui aurait culminé dans la Grande guerre patriotique, nom que les Russes donnent à la Seconde Guerre mondiale) ; d'autres y voient par contre une parenthèse qu'il s'agit d'oublier pour retrouver cette même Russie éternelle avec ses traditions etc. Ce que tous ont en commun, de toute façon, c'est une immense fierté nationale dont on se dit qu'elle n'est pas dépourvue de fondement.