"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


mardi 4 novembre 2008

Succinctes impressions de voyage 2


Les provodniki, dont j'ai déjà parlé ici, autrement dit ces employés des chemins de fer affectés à la supervision des wagons-lits, portent des uniformes d'aspect militaire qui leur donnent une fière allure. Ce qui est amusant, c'est qu'ils modulent leur habillement selon que l'on est ou non à proximité d'un arrêt. En rase campagne, quand on roule pendant des heures sans s'arrêter nulle part, ils se mettent à leur aise (en été, j'en ai même vu, parmi les hommes, en short et en débardeur), mais dès qu'on s'approche d'une gare, en particulier s'il s'agit d'une grande ville, les voici qui revêtent de nouveau leur uniforme pour se présenter impeccablement boutonnés sur les quais. En plus des provodniki, qui sont deux par wagon, il y a d'autres employés présents en permanence dans chaque wagon, dont la fonction m'échappe. Je crois qu'ils sont chargés de certaines tâches techniques, car je les ai vu d'autres fois s'affairer au moment du changement des bogies à la frontière, mais j'ignore la nature exacte de ces tâches.

A la frontière entre Biélorussie et Russie, nos passeport n'ont pas même été contrôlés. Je sais qu'il existe une sorte d'Union Russie-Biélorussie, et nous avions par ailleurs rempli à la frontière Pologne-Biélorussie des fiches d'immigration qui valaient aussi pour la Fédération russe, mais je ne pensais pas que l'intégration était telle qu'il n'y ait pour ainsi dire pas de frontière entre les deux pays.

Sur les quais des gares, tant en Russie qu'en Biélorussie, bien moins de babouchkas ou autres essayant de vous placer leur marchandise (plats cuisinés fumants, fruits etc.) qu'on en voit en Ukraine. Mais je crois me souvenir avoir entendu dire que les autorités russes ont pris des mesures contre le phénomène car la presse autour des trains, en particulier des trains internationaux, était presque devenue un problème d'ordre public.

En gare d'Orcha (Biélorussie), une femme de soixantaine d'années me désigne une grande statue de bronze, elle me dit qu'il s'agit d'un grand chef partisan, Konstantin Zaslonov, qui organisa entre autres de nombreuses opérations de sabotage de trains nazis dirigés vers le front de l'est dans la région. Elle tient à préciser que ce n'est pas seulement grâce à l'armée régulière que l'URSS vainquit l'Allemagne nazie, mais que l'apport des résistants fut grand. Remontés dans le train, nous poursuivons notre conversation. Elle me dit que pour beaucoup de gens la perestroïka a été un véritable traumatisme, car du jour au lendemain les gens se sont entendus dire que ce qui était bon la veille était maintenant mauvais sans mélange, et que ce qui était mauvais au contraire était absolument bon. Elle se plaint du manque de patriotisme chez les jeunes générations, et du culte de l'argent qui s'est imposé. Les jeunes filles, dit-elle, les jeunes filles russes autrefois étaient dévouées corps et âme à leur mari toute leur vie durant, elles étaient prêtes à traverser toutes les épreuves de la vie avec lui, maintenant elles ne songent qu'aux vêtements etc. Il se dégage de tout ce qu'elle dit une sorte de nostalgie pour une Russie éternelle dont, étrangement, l'URSS n'est pas perçue comme la négation mais comme une forme de continuation, la rupture réelle d'avec cette tradition s'étant produite, d'après elle, au moment de la perestroïka. Elle est de Saint-Pétersbourg (elle dit Leningrad), mais elle a vécu longtemps à Kaliningrad, dont elle dit qu'il vaut la peine de la visiter. Elle se plaint toutefois qu'il faille maintenant un visa aux Russes eux mêmes pour se rendre dans cette exclave russe au milieu de l'UE. Je lui dit que la seule chose que je sache de Kaliningrad, l'ancienne Königsberg prussienne, c'est que Kant y est né et y a vécu toute son existence. Elle me dit qu'on peut encore y voir le monument érigé en son honneur.
C'est pour ce genre de rencontres et de conversations qu'il vaut la peine de voyager en train.
Je crains de n'avoir pas rendu justice à mon compagnon de compartiment écossais par la description que j'en ai donné dans mes notes rédigées à la hâte tard hier soir avant d'aller me coucher. C'était un compagnon de voyage agréable, avec lequel j'ai parlé de choses et d'autres, et en particulier de notre passion commune: les voyages en train (il a même parcouru en une seule traite une fois la distance Chigago-Seattle en train), de façon tout à fait plaisante.

Photo ci-dessus: Statue de Konstantin Zaslonov, grand résistant biéorusse, en gare d'Orcha.

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