"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


mercredi 26 novembre 2008

Basta poco per ricominciare


Alors que je m'apprête à passer sous le porche qui conduit à la Place Rouge, j'aperçois Staline et Brejnev posant pour une photo souvenir avec deux touristes japonais. En bons lecteurs de Marx, vous n'ignorez évidemment que "tous les grands événements et personnages de l'histoire du monde se produisent pour ainsi dire deux fois... la première fois comme une grande tragédie, la seconde fois comme une farce sordide...", et que ce n'étaient donc pas le vrai Staline ni le vrai Brejnev (et peut-être même pas - qui sait? - de véritables touristes japonais), qui posaient pour cette photographie: on voit régulièrement à cet endroit des hommes travestis en Lénine, en Koutouzov ou autres personnages de l'histoire russe et soviétique, s'offrant pour poser avec les touristes moyennant quelques roubles. Pour tout dire, le Staline d'aujourd'hui évoquait plus, par son aspect, l'acteur italien Gino Cervi dans le rôle de Peppone, le maire du village de Don Camillo, que le petit père des peuples. Un peu plus loin, on peut voir, sur les éventaires des marchands de souvenirs, à côté des matrioskas, de faux insignes de l'époque soviétique. Le culte postmoderne du toc, du signe détaché de toute signification, a gagné les abords de l'ancienne citadelle du communisme. Après un tour sur la Place Rouge, mes pas me portent vers la place de la Révolution, où des ouvriers s'affairent à monter les baraques en faux rondins d'un marché de Noël. Je poursuis vers la place Teatralnaïa. Je remarque pour la première fois, à son extrémité que fait face au Bolchoï, la statue pourtant imposante de Marx qui s'y dresse. Elle est en granit ou en marbre non dépoli. Le Marx qu'elle représente est moins austère que dans la statuaire soviétique habituelle. Le socle porte, en russe, l'inscription "Prolétaires de tous les pays...". Ainsi, me prends-je à penser alors que je reviens vers la Place Rouge, on n'a pas jugé bon d'enlever cette statue, et les oligarques passant dans leurs limousines allemandes aux vitres fumées peuvent-ils voir le diable de Trêves exhorter encore et toujours les prolétaires à l'union et à la lutte... Comme en écho à ces pensées, alors que j'arrive devant la station de métro Tealtralnaïa, les hauts-parleurs de je ne sais quel commerce diffusent une chanson d'Adriano Celentano qui dit: "Basta poco per ricominciare", il suffit de peu de choses pour recommencer...
Recommencer, bien sûr, on se prend parfois à y penser, parce que, malgré les apparences, la situation qui est faite à bien des gens dans nos pays crie justice tout autant qu'à l'époque du Manifeste. Mais encore faut-il d'abord comprendre exactement ce qui a mal tourné, et les raisons de l'immense gâchis qui en a résulté. Voici, pour me le rappeler, mon homme de tout à l'heure, le vendeur de la Pravda. Il se dirige à petits pas poussifs vers l'entrée de la station Teatralnaïa. Il interpelle les passants d'une voix lasse pour leur vendre quelque chose, toutefois ce n'est plus un journal qu'il à la main, mais ce qui semble de loin être une sorte de calendrier. Je m'approche: j'avais vu juste, c'est une éphéméride de l'année 2009, sur la couverture de laquelle figure, sur fond rouge, à l'exclusion de toute autre image, une médaille dorée frappée à l'effigie de Staline. Recommencer, peut-être. Mais ça, non. Que ce soit sous la forme de la "grande tragédie" ou de la "farce sordide", non.

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