"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


mercredi 19 novembre 2008

Révolution et après-shampooing


Je commence à y voir plus clair dans mes sentiments ambivalents envers l'URSS post-stalinienne.
D'un côté, ce régime conservait, comme j'ai eu l'occasion de le dire, un caractère illibéral qui me le rend évidemment antipathique. Notons toutefois que je dis bien illibéral, et non pas totalitaire: l'URSS brejnévienne n'était pas du tout l'URSS de Staline, et il faut beaucoup d'imagination pour qualifier de totalitaire l'Union soviétique des années 70.
D'un autre côté, je ne peux m'empêcher d'éprouver un certaine sympathie pour l'URSS brejnévienne, une sympathie qui paradoxalement porte sur les aspects mêmes du régime qui lui ont valu la désaffection croissante de ses citoyens et qui ont fini par le mener à sa perte. Je veux parler de ce que l'on a appelé la stagnation brejnévienne. En quoi consistait-elle sinon dans le fait qu'après avoir grosso modo rattrapé son retard vis-à-vis de l'occident capitaliste dans le secteur de l'industrie lourde, l'URSS des années 60 n'a pas été capable de s'engager sur la voie de la production de masse de produits de consommation? Et bien, c'est précisément cela qui fait l'attrait de cette période à mes yeux, le fait que, par son retard supposé, l'URSS soit restée indemne au cours de ces décennies du consumérisme qui bouleversait de fond en comble nos propres sociétés. L'ironie de l'histoire a voulu que, à son corps défendant, le régime communiste devienne quelques décennies durant une sorte de conservatoire de valeurs, de représentations, de pratiques, de formes de sociabilité propres au monde d'avant la consommation de masse. Bref, le paradoxe est qu'un régime communiste, d'essence révolutionnaire, ait fini par exercer une fonction conservatrice, dans tous les sens du terme, face à un capitalisme occupé à dissoudre toutes les formes traditionnelles d'existence individuelle et collective. Je ne perds pas de vue évidemment qu'une grande partie de la population soviétique ne s'accommodait pas de cette situation et aspirait à pouvoir se plonger enfin à son tour dans les délices du consumérisme. Je ne perds pas de vue en particulier que pour beaucoup de femmes, le fait de pouvoir choisir entre vingt-cinq marques d'après-shampooing est le critère suprême du meilleur régime. On ne soulignera jamais assez le rôle de l'après-shampooing dans l'Histoire.

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