"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


samedi 8 novembre 2008

A la mode de chez nous


L'un des principaux points faibles de l'économie soviétique, comme de celle des tous les pays du "socialisme réel", était, on le sait, la production de biens de consommation. Le gros des investissements allait à la réalisation de biens de production et d'équipements collectifs. Il s'agissait de rattraper les pays occidentaux dans le domaine de l'industrie lourde et des infrastructures: le confort matériel individuel, ce serait pour plus tard. Notons toutefois par parenthèse que cette politique s'est traduite dans certains domaines par des réussites incontestables. Le métro de Moscou, par exemple, est non seulement efficace, c'est aussi l'un des plus beaux du monde, et cela après tout contribue au bien-être individuel aussi. Par ailleurs, le système de santé, gratuit pour l'ensemble de la population à l'époque soviétique (et qui d'ailleurs, autre héritage que la Russie actuelle n'a pas - encore - renié, l'est encore aujourd'hui), même s'il souffrait de certaines carences en équipements, pouvait compter sur un personnel de qualité bénéficiant d'une solide formation. Et si l'on pense que des dizaines de millions d'habitants des Etats-Unis, encore aujourd'hui, ne disposent pas d'assurance-maladie, on se dit qu'après tout il est des luxes que l'URSS savait offrir à ses habitants. Passons. L'économie soviétique, disais-je, n'assurait pas une production de biens de consommation propre à satisfaire les besoins de ses habitants. C'est un fait. C'était vrai en particulier dans le domaine de l'habillement. Les gens étaient certes vêtus, mais la production soviétique dans ce domaine manquait de cette variété et de cette fantaisie dont ont risquerait de perdre de vue, tant dans nos pays la mode a au contraire acquis une importance démesurée, qu'elles font aussi partie des plaisirs de la vie. Bref, il n'aura échappé à personne que Brejnev n'était pas Lord Brummel. L'aspiration à un peu de fantaisie vestimentaire était telle que, au lendemain de la diffusion d'un film occidental récent à la télévision, on pouvait voir dans la rue des femmes porter tel vêtement ou tel accessoire qu'elles y avaient vu et qu'elles s'étaient ingéniées à reproduire avec des moyens de fortune. On imagine donc l'engouement qu'a suscité ici, après la fin de l'URSS, l'arrivée de la mode occidentale. Les grandes marques du secteur se sont d'ailleurs ruées sur ce juteux nouveau marché, avec un cynisme frôlant le mépris pour ces populations qu'elles venaient convertir au total look. Je me souviens d'avoir eu entre les mains pour des raisons professionnelles, il y a une dizaine d'années, les plans commerciaux de certaines d'entre elles concernant la Russie: le but déclaré était vraiment de plumer ces clients encore peu rompus aux stratagèmes du marketing scientifique, en pratiquant bien évidemment des prix sans aucune commune mesure avec ceux qui avaient cours dans les pays occidentaux, même en tenant compte des surcoûts de logistique et de distribution.
Il s'est agi d'un âge d'or pour les entreprises occidentales, et j'imagine que les commerciaux de certaines sociétés se souviennent encore avec nostalgie des marges faramineuses qu'ils ont dégagées à l'époque. Le temps aidant, toutefois, les consommateurs russes se sont faits plus roués. Ne serait-ce que parce qu'en voyageant à l'étranger, comme les membres de la classe moyenne ont commencé à le faire ces dernières années, il ont pu comparer les prix.
Il n'en reste pas moins que ce sont encore les marques occidentales qui tiennent le haut du pavé à Moscou. (Même si Nastia note avec satisfaction que ces dernières années des couturiers russes ont commencé de s'imposer sur le marché: Alena Akchmadulina, Denis Semachev). Les galeries du GOUM (où, me suis-je laissé dire, le prix au mètre carré des surfaces commerciales atteint des niveaux stratosphériques) ont été colonisées par les Armani, Vuitton et autres Dior. Et le comble du chic pour une jeune fille est bien entendu de se promener avec un sac en papier de Dolce & Gabbana ou d'une autre marque à la mode sous le bras, pour bien marquer qu'elle vient d'y faire ses achats. J'en soupçonne même certaines de se promener avec le sac plusieurs jours de suite. En quoi elles ne feraient d'ailleurs que perpétuer une tradition remontant à l'époque soviétique: on sait qu'alors une ménagère ne sortait jamais sans un sac, car il lui fallait être équipée au cas où une occasion d'approvisionnement quelconque se présenterait en chemin. Les sachets en plastique de production locale étant rares en URSS, c'est le plus souvent un cabas qui faisait l'affaire. Mais les sachets en plastique occidentaux étaient assez recherchés, d'une part parce qu'ils étaient peu encombrants, et d'autre part parce qu'ils faisaient figure du status-symbol.

Photo ci-dessus: au zoo de Moscou ce matin: "Always Coca-Cola".


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