"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


samedi 8 novembre 2008

In memoriam Joseph Brodsky


J'ai enfin trouvé hier, à la librairie Biblioglobus, un livre du grand poète russe Joseph Brodsky. C'est un recueil en russe ave traduction anglaise en regard publié par Farrar, Straus and Giroux à New York en 2001 sous le titre Nativity Poems. Brodsky avait prit l'habitude d'écrire chaque année un poème le jour de Noël. Et c'est l'ensemble de ces poèmes qui y sont rassemblés. Il ne s'agissait pas tant de poèmes consacrés à Noël en tant que tel, que de méditations à l'occasion de ce jour qui, qu'on soit croyant ou non (et Brodsky, malgré ce qu'on va lire plus loin, ne l'était en fait pas vraiment), scande le temps humain dans les pays de tradition chrétienne.

Cela a été vraiment une bonne surprise que de trouver enfin un livre de Brodsky car ses oeuvres sont pratiquement introuvables non seulement en France et en Suisse, mais aussi en Angleterre, alors qu'il est après tout pour moitié un auteur anglophone. (Je n'en ai même pas trouvé chez Foyles, lors d'un récent séjour à Londres, alors qu'on y trouve tout en général). Rappelons pour mémoire que Brodsky, né en 1938, sans être un dissident à proprement parler, eut maille à partir avec les autorités soviétiques, qui lui intentèrent en 1964 un procès pour "décadentisme" et "parasitisme social". Le temps du dégel était terminé, le régime du grisâtre Brejnev n'était pas disposé à l'indulgence envers des artistes qui, sans même être des antagonistes politiques, entendaient faire montre d'une certaine indépendance spirituelle. Paradoxalement, c'est précisément le procès grotesque auquel il fut soumis (et à l'issue duquel il fut condamné à cinq années de travaux forcées, peine réduite par la suite à deux ans) qui rendit Brodsky mondialement célèbre du jour au lendemain. En effet, la journaliste Frieda Vigdorova prit note des débats en sténo et en fit parvenir clandestinement un compte-rendu à la presse occidentale. Je traduis à partir du texte anglais dont je dispose:

Le Juge: Et quelle est votre profession en général?
Brodsky: Poète traducteur.
Le Juge: Et qui vous a reconnu comme poète? Qui vous a enrôlé dans les rangs des poètes?
Brodsky: Personne. Qui m'a enrôlé dans les rangs de l'humanité?
Le Juge: Est-ce que vous avez étudié pour ça?
Brodsky: Pour ça?
Le Juge: Pour devenir poète. Vous n'avez pas essayé de finir le lycée, où ils préparent, où ils enseignent?
Brodsky: Je ne pensais pas qu'on puisse apprendre ça à l'école.
Le Juge: Et comment donc alors?
Brodsky: Je crois que cela... vient de Dieu.

On voit que, face à un juge aussi obtus et philistin, Brodsky avait la part belle. La publication de cet interrogatoire lui valut, comme je l'ai dit, une renommée immédiate en Occident, où l'on commença à publier ses poèmes qui, en URSS, ne circulaient qu'en samizdat, jusqu'au jour où, en 1972, les autorités soviétiques finirent par l'expulser.
Il fut accueilli à bras ouverts aux Etats-Unis et en Occident en général, et se vit attribuer le prix Nobel de littérature en 1988. Il mourut à Venise, où il avait fini par s'établir, en 1996.
Brodsky est un grand poète, et je ne comprends pas pourquoi ses livres sont maintenant pratiquement introuvables et, pour la plupart, ne font pas l'objet de réimpressions. C'est à croire qu'on l'a célébré en Occident aussi longtemps qu'il pouvait servir à la propagande contre l'URSS (qui s'y était excellemment prêtée, comme on l'a vu, et ne fut pas en reste après son départ, puisqu'elle refusa obstinément, malgré des demandes réitérées en ce sens, d'accorder un visa de sortie aux parents de Brodsky, qui moururent tous deux sans qu'il les ait revus), pour l'oublier dès qu'on n'en a plus eu besoin pour remplir cette fonction.

Triste siècle que celui où les poètes étaient des parasites ou des armes de propagande.

Photo: Joseph Brodsky en 1964.





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