"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


vendredi 12 décembre 2008

L'histoire du Baal Chem Tov

Dans son dernier livre, Transmettre, de génération en génération, qui vient de paraître chez Buchet-Chastel, Catherine Chalier, enseignante à l'Université Paris-X, philosophe d'inspiration lévinassienne, que j'ai eu la chance et l'honneur d'avoir comme prof de philo du temps où elle enseignait encore dans les lycées, rapporte un apologue hassidique qui me semble illustrer à merveille la situation dans laquelle quelques uns d'entre nous se trouvent, aujourd'hui, vis-à-vis de la tradition.
Voici l'apologue:
"On raconte que, lorsque le Baal Chem Tov apprenait qu'un grand malheur était sur le point d'arriver, il partait dans la forêt. Dans un endroit qu'il connaissait, il allumait un grand feu et il disait une prière. Le monde était alors sauvé. Après lui son disciple faisait de même, mais il ne savait plus dire la prière, il se contentait donc d'aller dans la forêt, à l'endroit voulu, et d'allumer le feu. Le monde était encore sauvé. Après lui, son disciple se souvenait uniquement qu'il devait aller dans la forêt, il ne savait plus où exactement l'endroit, il avait oublié comment allumer le feu et il ignorait les mots de la prière. Il se contentait donc de dire à Dieu qu'il savait qu'il avait oublié tout cela et il lui demandait, malgré tout, de sauver le monde. Et cela advenait. Après lui, son disciple ne savait plus où était la forêt, alors il se contentait de raconter l'histoire du Baal Chem Tov et il demandait à Dieu de sauver le monde parce qu'il se souvenait encore de l'histoire. Son propre disciple savait qu'il ne savait plus même raconter l'histoire mais, malgré tout, il demandait à Dieu de sauver le monde parce que, si quelqu'un lui racontait l'histoire, il savait qu'il la comprendrait encore. Mais, après lui, son disciple savait bien qu'il était trop tard et qu'il ne comprendrait plus l'histoire si on la lui racontait, malgré tout il s'adressait encore à Dieu et il lui disait: "Sauve le monde parce qu'il reviendra un jour un homme qui saura où est la forêt, qui retrouvera l'endroit, qui saura allumer le feu et qui dira la prière".

J'ai très précisément le sentiment bien souvent qu'il me faudrait aller dans la forêt, y allumer un feu et dire une prière, mais je ne sais plus l'endroit exact, j'ai oublié comment allumer un feu et j'ignore les mots de la prière.
Comme l'impression qu'une tradition s'est rompue, qu'il n'en reste qu'un souvenir confus, jointe à la conviction que c'est pourtant par cette tradition que le monde pourra être sauvé.

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