"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


lundi 10 novembre 2008

Société industrielle


Dans ses Leçons sur la société industrielle publiées dans les années 60, Raymond Aron soutenait cette idée, plutôt hérétique tant pour la droite que pour la gauche à l'époque, selon laquelle, alors qu'on se complaisait des deux côtés du rideau de fer à décrire l'autre régime comme différent en essence du sien propre, les sociétés capitalistes et socialistes avaient en fait beaucoup plus de points communs que de différences, en tant justement qu'elles étaient des sociétés industrielles, et il observait entre elles une convergence de développement dont il prévoyait qu'elle ne ferait que s'accentuer avec le temps.
De son point de vue, la question de la propriété des moyens de production, dont les marxistes faisaient la pomme de discorde par excellence, n'était en fait qu'un aspect presque secondaire rapporté à tout ce que les sociétés de l'est et de l'ouest avaient en commun. A l'échelle historique, ce qui comptait, c'était bien plutôt qu'elles relevaient du même type de société, apparu en Europe à la faveur de la Révolution industrielle etc. Ce qui aux yeux d'Aron faisait le danger de l'Union soviétique, ce n'était pas, comme pour d'autres personnes à droite, son modèle d'organisation économique, c'était ce qu'il pensait être son impérialisme.
Contrairement à lui, je ne crois pas que l'URSS ait jamais eu véritablement d'ambitions de domination mondiale, en général, ni de visées sur l'Europe occidentale, en particulier. Il y a plutôt eu ce dialogue de sourds entre les deux blocs, fait de défiance mutuelle, de bluff, d'arrogance idéologique de part et d'autre et, ne l'oublions pas, d'intérêts nationaux légitimes qui n'avaient rien à voir avec la nature des régimes respectifs des deux superpuissances. (C'est le mérite de De Gaulle de l'avoir compris me semble-t-il, et d'avoir tenté d'en jouer).
Je ne crois pas, disais-je, que l'URSS ait sérieusement projeté à quelque moment que ce soit de conquérir l'Europe de l'Ouest dans une guerre d'agression.
Je suis plutôt porté par contre à penser, comme Aron, que la société soviétique post-stalinienne n'était pas en fait aussi radicalement différente de la nôtre que la propagande de gauche et de droite le proclamait, soit pour l'exalter, soit pour l'exécrer. Je ne veux pas dire par là qu'il n'y avait pas de différences: elles sautent aux yeux aujourd'hui encore, et j'ai essayé d'en décrire quelques unes ici. Mais ces différences étaient secondaires rapportées aux ressemblances (industrialisation, urbanisation etc.) qui faisaient des deux systèmes deux versions d'un même type de société, radicalement différent de toutes les sociétés antérieures. Où veux-je en venir par ces remarques? Je ne sais pas trop, enfin, ce sont plusieurs fils que j'essaie de nouer ensemble. D'abord celui-ci: méfions-nous toujours des oppositions trop radicales que la passion politique nous fait poser. Je ne veux pas ce faisant prôner je ne sais quel consensus mou, il est clair que l'action politique se nourrit d'oppositions, et qu'elles doivent être clairement assumées, mais gardons-nous d'en faire des absolus. (Le pragmatisme de la Chine d'aujourd'hui est exemplaire à cet égard). Et puis, plus profondément, il y ceci: il n'est en fait pas si étonnant que cela que les pays du socialisme réel et les pays capitalistes aient présenté plus de ressemblances que l'idéologie ne voulait l'admettre de part et d'autre. En effet, si l'on y pense, ils partageaient le même mètre de mesure, car la pensée de Marx - et c'est là sa limite à mon avis - communie avec la pensée libérale dans un même industrialisme et un même productivisme. Il nous a manqué, et il nous manque, à mon avis, un penseur capable de formuler vigoureusement l'idée qu'il existait un certain optimum de développement, passé lequel ses conséquences en termes sociologiques, anthropologiques, écologiques etc. excédaient ses bienfaits. Certaines idées, peut-être par leur nature même, je ne saurais le dire, ne trouvent pas de défenseurs à la hauteur de leur valeur. L'idée, à mon avis pas bête du tout, et défendable à de multiples points de vue, de la croissance zéro, n'a trouvé pour la défendre que quelques hippies utopistes des années 60 et 70. Dommage.

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