Dans un livre intitulé The Holocaust in American Life, paru en 1999, l'historien juif Peter Novick s'interroge sur les raisons pour lesquelles le génocide occupe une place aussi centrale dans la culture américaine depuis quelques décennies.
Ses analyses sont trop nuancées pour qu'on prétende les résumer en quelques mots seulement. Il convient de préciser en premier lieu, pour les malintentionnés, qu'il ne s'agit aucunement pour Peter Novick de minimiser l'horreur de la "solution finale". Ce à quoi il s'intéresse, répétons-le, c'est à la place que la mémoire de ce fait historique occupe dans la culture et la vie politique des Etats-Unis. Comment se fait-il, se demande-t-il, qu'alors que les Etats-Unis n'ont été ni les auteurs, ni les victimes de ce crime, ils lui ont accordé un statut à ce point spécial qu'il est devenu presque inconvenant de le mettre en parallèle avec tout autre événement de l'histoire humaine, si meurtrier ait-il été? Qu'il lui soit accordé une sorte de monopole de l'horreur, en comparaison duquel toutes les autres tragédies de l'histoire seraient presque dérisoires? Et ce au point d'exagérer la responsabilité au moins passive des Etats-Unis dans le génocide, due au fait qu'ils ne seraient pas intervenus quand ils auraient pu le faire? L'une des réponses que suggère Peter Novick, c'est que, en se focalisant sur le mal absolu de la Shoah et s'en attribuant une part de responsabilité imaginaire, ce sont leurs responsabilités bien réelles dans d'autres tragédies que les Américains veulent occulter à leurs propres yeux.
Et l'on peut s'en demander s'il n'en va pas de même en France. Car, s'il a été salutaire en son temps de montrer les responsabilités des autorités de Vichy et donc, qu'on le veuille ou non, des Français dans la politique qui a abouti à l'extermination d'une partie des Juifs de France, il n'en reste pas moins que les responsables réels et directs de cette politique étaient les nazis et non pas les Français. La France doit certes ne jamais oublier qu'elle a prêté main forte à l'occasion à cette entreprise criminelle, mais elle ne doit pas elle non plus faire de cette mémoire un prétexte pour ne pas se souvenir d'autres crimes dont elle s'est tachée, et cela de sa propre initiative, et sans qu'un régime d'occupation le lui imposât d'aucune façon. Je veux parler bien sûr des crimes de la France coloniale, qu'on n'a jusqu'à présent reconnu que du bout des lèvres, et dont il y a fort à parier que bien des Français ignorent l'ampleur. Et qu'on ne vienne pas dire, justement selon cette logique que je viens de décrire, que tel ou tel massacre de dizaines ou de centaines d'indigènes est sans commune mesure avec le génocide des Juifs. Cela n'excuse rien. C'est comme si l'auteur d'un assassinat essayait de se prévaloir devant une cour d'assises du fait que son crime est somme toute peu de chose par rapport à ceux de Landru. Et surtout, qu'on n'inflige pas à la mémoire des morts de la Shoah cette injure supplémentaire, consistant à utiliser des morts pour en cacher d'autres. Un ancien prisonnier des camps nazis, Primo Levi, le savait bien, qui avait, comme bien d'autres, tiré de son expérience l'exigence de combattre l'injustice où qu'elle se manifeste.
Ses analyses sont trop nuancées pour qu'on prétende les résumer en quelques mots seulement. Il convient de préciser en premier lieu, pour les malintentionnés, qu'il ne s'agit aucunement pour Peter Novick de minimiser l'horreur de la "solution finale". Ce à quoi il s'intéresse, répétons-le, c'est à la place que la mémoire de ce fait historique occupe dans la culture et la vie politique des Etats-Unis. Comment se fait-il, se demande-t-il, qu'alors que les Etats-Unis n'ont été ni les auteurs, ni les victimes de ce crime, ils lui ont accordé un statut à ce point spécial qu'il est devenu presque inconvenant de le mettre en parallèle avec tout autre événement de l'histoire humaine, si meurtrier ait-il été? Qu'il lui soit accordé une sorte de monopole de l'horreur, en comparaison duquel toutes les autres tragédies de l'histoire seraient presque dérisoires? Et ce au point d'exagérer la responsabilité au moins passive des Etats-Unis dans le génocide, due au fait qu'ils ne seraient pas intervenus quand ils auraient pu le faire? L'une des réponses que suggère Peter Novick, c'est que, en se focalisant sur le mal absolu de la Shoah et s'en attribuant une part de responsabilité imaginaire, ce sont leurs responsabilités bien réelles dans d'autres tragédies que les Américains veulent occulter à leurs propres yeux.
Et l'on peut s'en demander s'il n'en va pas de même en France. Car, s'il a été salutaire en son temps de montrer les responsabilités des autorités de Vichy et donc, qu'on le veuille ou non, des Français dans la politique qui a abouti à l'extermination d'une partie des Juifs de France, il n'en reste pas moins que les responsables réels et directs de cette politique étaient les nazis et non pas les Français. La France doit certes ne jamais oublier qu'elle a prêté main forte à l'occasion à cette entreprise criminelle, mais elle ne doit pas elle non plus faire de cette mémoire un prétexte pour ne pas se souvenir d'autres crimes dont elle s'est tachée, et cela de sa propre initiative, et sans qu'un régime d'occupation le lui imposât d'aucune façon. Je veux parler bien sûr des crimes de la France coloniale, qu'on n'a jusqu'à présent reconnu que du bout des lèvres, et dont il y a fort à parier que bien des Français ignorent l'ampleur. Et qu'on ne vienne pas dire, justement selon cette logique que je viens de décrire, que tel ou tel massacre de dizaines ou de centaines d'indigènes est sans commune mesure avec le génocide des Juifs. Cela n'excuse rien. C'est comme si l'auteur d'un assassinat essayait de se prévaloir devant une cour d'assises du fait que son crime est somme toute peu de chose par rapport à ceux de Landru. Et surtout, qu'on n'inflige pas à la mémoire des morts de la Shoah cette injure supplémentaire, consistant à utiliser des morts pour en cacher d'autres. Un ancien prisonnier des camps nazis, Primo Levi, le savait bien, qui avait, comme bien d'autres, tiré de son expérience l'exigence de combattre l'injustice où qu'elle se manifeste.
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