Il y a quelques mois, me promenant au bord du Léman, j'en étais arrivé à la conclusion que ce que j'aimais dans les paysages d'ici, c'était, paradoxalement, leur fadeur. Le lac, même par la plus belle des journées, n'a jamais le bleu franc de la mer ; sa couleur est toujours indécise, à mi-chemin du bleu et du gris, un peu passée comme sur une vieille photographie. Les contours des montagnes sont la plupart du temps comme dissous, leurs couleurs délayées par la brume qui monte du lac. Bref, il n'y ici aucun de ces couleurs marquées ou de ces violents contrastes qui font la beauté de tant d'autres paysages. C'est une espèce de qualité neutre, fade comme je le disais, qui domine.
Or j'ai découvert il y a peu un petit livre du sinologue François Julien, intitulé précisément Eloge de la fadeur. L'auteur se propose d'y montrer qu'il y a au coeur de la pensée chinoise une esthétique et même une éthique de la fadeur. Et que cette valorisation de la fadeur serait à ce point enracinée et ancienne qu'elle appartiendrait au fonds d'évidences commun à ces deux mouvements que l'on oppose souvent l'un à l'autre à propos de la Chine, à savoir le confucianisme et le taoïsme.
Dans cette perspective, "c'est le fondement même de la réalité qui, dans sa plénitude et son renouvellement infini, se manifeste à nous de façon 'fade' et 'sans saveur'". Toute détermination (cette qualité, cette saveur donnée plutôt que cette autre) est limitation car elle exclut d'autres déterminations et donc tous les devenirs alternatifs. Il nous faut donc savoir nous détacher de la sensation particulière, qui est un asservissement, pour pouvoir nous ouvrir à l'être dans sa plénitude foncière. Et à sa source, cet être est à la fois toutes les qualités et aucune d'entre elles, il est indifférenciation: fadeur. Et c'est cette fadeur principielle des choses que la peinture chinoise elle-même s'efforcerait de restituer.
François Jullien, Eloge de la fadeur, Biblio Essais.
Illustration: paydage de Ni Zan, peintre chinois du XIVe siècle.
Or j'ai découvert il y a peu un petit livre du sinologue François Julien, intitulé précisément Eloge de la fadeur. L'auteur se propose d'y montrer qu'il y a au coeur de la pensée chinoise une esthétique et même une éthique de la fadeur. Et que cette valorisation de la fadeur serait à ce point enracinée et ancienne qu'elle appartiendrait au fonds d'évidences commun à ces deux mouvements que l'on oppose souvent l'un à l'autre à propos de la Chine, à savoir le confucianisme et le taoïsme.
Dans cette perspective, "c'est le fondement même de la réalité qui, dans sa plénitude et son renouvellement infini, se manifeste à nous de façon 'fade' et 'sans saveur'". Toute détermination (cette qualité, cette saveur donnée plutôt que cette autre) est limitation car elle exclut d'autres déterminations et donc tous les devenirs alternatifs. Il nous faut donc savoir nous détacher de la sensation particulière, qui est un asservissement, pour pouvoir nous ouvrir à l'être dans sa plénitude foncière. Et à sa source, cet être est à la fois toutes les qualités et aucune d'entre elles, il est indifférenciation: fadeur. Et c'est cette fadeur principielle des choses que la peinture chinoise elle-même s'efforcerait de restituer.
François Jullien, Eloge de la fadeur, Biblio Essais.
Illustration: paydage de Ni Zan, peintre chinois du XIVe siècle.
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