"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


dimanche 26 octobre 2008

Nationalisme grand-russien


Autant je trouve déplorable la façon dont les pays occidentaux, les Etats-Unis au premier rang, ont ignoré depuis 1991, et encore récemment à l'occasion de la crise géorgienne, les intérêts nationaux légitimes du peuple russe, autant je trouve inquiétantes certaines formes d'ultranationalisme grand-russien qu'on observe en Russie. J'ai vu hier soir sur TSI2, chaîne de télévision publique suisse italophone un document extrêmement intéressant sur cette mouvance. (Soit dit en passant, honte à la télévision publique française, qui s'adresse à un pays de plus de 60 millions d'habitants et dispose de moyens à l'avenant, de proposer le samedi soir une programmation qui n'arrive pas à la cheville de celle de la TSI, dont le public potentiel, les Suisses de langue italienne, n'atteint même pas le million. Passons.).
Il ne s'agissait pas de ces groupes d'activistes plus ou moins skinheads qui se revendiquent eux aussi d'une idéologie ultranationaliste et qui se sont rendus coupables à de multiples reprises d'agressions contre des habitants originaires du Caucase ou d'Asie centrale. Non, il s'agissait de gens tout ce qu'il y a de plus honorables: officiers supérieurs de l'armée, prêtres orthodoxes etc., (dont la plupart ont un passé dans les services de sécurité). Ce que ces gens ont en commun, c'est une même nostalgie pour la Russie impériale et l'URSS., l'URSS non pas pour ses institutions communistes, mais en tant précisément que continuation de la Russie impériale. Pour eux, l'éclatement de l'URSS a été la plus grande catastrophe du XXe siècle (comme Poutine lui-même l'a déclaré d'ailleurs). Et ce dont ils rêvent, c'est, à terme, la restauration de la Russie dans ses frontières d'avant 1991. Cette idéologie grand-russienne, ils la fondent sur une sorte de trinité, qu'ils prétendent reprendre de la tradition: foi, patrie et tsar, étant entendu que n'importe quel dirigeant à poigne peut jouer le rôle du tsar (il ne s'agit pas d'un projet de restauration formelle du tsarisme). Leur conception politique est résolument anti-occidentale et antidémocratique. Leur vision du pouvoir est strictement verticale et hiérarchisée, en quoi ils prétendent là aussi renouer avec la tradition. (L'idée étant que tout pouvoir vient de Dieu etc.).
Dans les faits, il s'agit, comme toutes les tentatives de restauration des formes sociales prémodernes, d'un mélange étrange de holisme et d'invidualisme. Car si le fondement divin du tsarisme historique s'enracinait au moins dans une tradition réelle, quel titre ont-ils quant à eux à se croire investis du pouvoir par Dieu plus que n'importe qui d'autre, si ce n'est le fait qu'ils détiennent le pouvoir en fait? Le droit se fonde donc ici sur le simple fait. Et il manque à leur vision hiérarchique l'une des caractéristiques des régimes paternalistes traditionnels: les rapports hiérarchiques traditionnels tissaient de nombreux liens entre gouvernants et gouvernés, et s'accompagnaient, dans certaines limites évidemment, d'une certaine sollicitude paternaliste des uns pour les autres. Au contraire, chez les hommes qu'on voyait dans ce reportage, cette sollicitude était entièrement absente, la seule chose qu'on y voyait c'était le mépris du fort pour le peuple vu comme malléable et corvéable à souhait. On a donc affaire à une forme d'idéologie politique qui réussit le tour de force de prendre le pire des sociétés prémodernes et le pire des sociétés modernes pour le mettre au service qui plus est d'une politique étrangère impérialiste.

Illustration: Joukov, principale artisan de la victoire soviétique sur l'Allemagne nazie. Les nationalistes grand-russiens d'aujourd'hui, au nom de la célébration d'une Russie éternelle, ont de la place dans leur panthéon aussi bien pour Joukov et d'autres héros nationaux de l'époque soviétique que pour le tsar Nicolas II.

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