"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


lundi 12 janvier 2009

Seules dans Berlin

Le Temps d'aujourd'hui reprend, sous le titre "Seules dans Berlin" (allusion au titre du livre de Marta Hillers dans lequelle elle racontait son calvaire dans Berlin occupé) , un article paru dans Le Monde consacrée aux Allemandes violées par des soldats soviétiques à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
L'auteur de l'article en question soutient, sans nommer de sources, que les historiens chiffrent à 2 millions le nombre de femmes allemandes ayant été victimes de viols lors de l'avancée soviétique.
Pour commencer, cela me paraît un peu contradictoire avec la formule par laquelle l'article est annoncé en première page: "Seules dans Berlin, tabou levé". Si on dispose de données chiffrées, cela veut dire que la chose n'a pas été si tabou que cela, car il a bien fallu pour parvenir à ces chiffres s'appuyer sur des témoignages. Passons.
Donc, nous dit-on, un tabou serait enfin levé.
Un tabou qui "paraissait insurmontable, nous dit l'auteur de l'article. D'autant qu'au regard des crimes commis par les nazis, un interdit tacite empêchait d'évoquer les souffrances endurées pendant la guerre: ils auraient été aussitôt accusés de révisionnisme."
Or, que les historiens enquêtent sur tout ce qui a pu se passer à l'occasion de l'occupation soviétique, y compris ces tristes épisodes, c'est tout à fait normal. Mais l'évocation dans la presse de ces épisodes sans leur contexte me semble plutôt dangereuse.
Et quand je dis sans leur contexte, je veux dire ceci: la plupart des gens, même cultivés, ont une vision complètement fausse de la Seconde Guerre mondiale. Ils pensent en général que le gros de l'effort de guerre a été fourni par les Etats-Unis, et ignorent complètement le lourd tribut payé par l'URSS, qui a perdu dans ce conflit 25 millions de personnes, un chiffre sans commune mesure avec les pertes américaines ou occidentales en général (j'en avais déjà parlé dans un article en septembre, le rapport des pertes soviétiques aux pertes américaines est de 100 à 1).
Et les chiffres eux-mêmes ne disent pas tout. Car ils ne disent pas la sauvagerie avec laquelle les Allemands se sont comportés sur le front est, les massacres de masses, les villages entiers brûlés avec tous leurs habitants etc., les traitements inhumains infligés aux prisonniers de guerre soviétiques qui n'étaient pas protégés par les Conventions de Genève etc.
Venir, par conséquent, au nom d'une vision plus équilibrée du passé, parler des souffrances des Allemands, me semble un peu prématuré tant qu'on n'aura rétabli la vérité sur les pertes immenses des peuples soviétiques. Et il est même plutôt de mauvais goût d'évoquer les exactions qu'ont pu commettre certains soldats soviétiques, avant d'avoir rendu justice aux immenses sacrifices que des millions de ces soldats ont consentis pour défaire le nazisme.
Bref, si nous voulons rééquilibrer l'image de la Seconde Guerre mondiale dans l'opinion publique, commençons par reconnaître le rôle qu'y a joué l'URSS, et qui, du fait de la Guerre froide et des simplifications hollywoodiennes, a été sous-estimé pendant des décennies.


Ajoutons que l'article est pour le reste un triste condensé du blabla psychologique qui a cours à notre époque, comme en témoigne une citation mise en exergue en gros caractères au milieu de l'article, et censée en résumer l'essence:
"Les femmes violées sont toujours doublement frappées: une première fois par le viol, puis parle rejet de la société. Cette inversion de la culpabilité est typique de nos sociétés patriarcales."
Je ne vois pas trop ce que ces considérations générales sur le viol ont à faire ici, avec leur inévitable allusion à nos "sociétés patriarcales". Mais bon.

1 commentaire:

dievouchka a dit…

je trouve que personne n'a le monopole de la souffrance.