"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


samedi 27 septembre 2008

Sans offenser le genre humain

J'ai lu aujourd'hui Sans offenser le genre humain, un livre d'Elisabeth de Fontenay qui vient de paraître. Elisabeth de Fontenay est une philosophe, une vraie philosophe, j'entends par là quelqu'un qui ne se borne pas à ressasser des formules creuses mais s'efforce de penser le présent.
Par ailleurs, elle a été, à l'époque où elle enseignait dans le secondaire, la prof de philo de Catherine Chalier, laquelle a été à son tour, à l'époque où elle-même enseignait en lycée, ma propre prof de philo. Cela crée des liens comme on dit, il y a une sorte de transmission, et le hasard veut d'ailleurs que Catherine Chalier vienne elle-même de publier, sous le titre Transmettre, de génération en génération, un livre consacrée à la valeur de la transmission, dont je vous parlerai le moment venu.
Bien. Dans Sans Offenser le genre humain, de Fontenay aborde une problématique que j'ai traitée à ma façon dans deux articles plutôt polémiques ces dernières semaines: celle des rapports entre l'homme et l'animal. Vous allez me dire que je suis un peu obsédé par cette question, et je ne vous dirai pas le contraire, car je pense qu'un certain nombre de théories écologistes modernes qui, pour défendre la cause des animaux, croient expédient d'accabler l'homme, sont extrêmement dangereuses. En effet, ce qui est en jeu ici à mes yeux, ce n'est tant la déconstruction des conceptions métaphysiques traditionnelles du "propre de l'homme", que les effets pratiques potentiels d'une mise en question radicale de la préférence donnée à l'humain, quand bien même cette préférence serait sans fondement rationnel.
De Fontenay, et j'en viens donc à son livre, le dit bien: les définitions traditionnelles du propre de l'homme sont insuffisantes, et elles pèchent sous deux aspects au moins. Sous l'aspect éthique, parce qu'elles n'incluent pas tous les membres de l'espèce (prenons en effet la plus enracinée de ces définitions, celle qu'Aristote donne de l'homme comme "animal rationnel": elle exclut le malade mental, le nouveau-né etc.). Sous l'aspect scientifique également, car elles s'exposent au démenti des recherches modernes en éthologie, primatologie etc., qui "grignotent" de plus en plus les compétences regardées jusqu'ici comme proprement humaines, en montrant par exemple chez les grands primates des facultés cognitives et des capacités d'organisation sociale particulièrement développées etc.
Il ne s'agit donc pas d'essayer de sauver la métaphysique humaniste dans ses raisons mais dans son esprit, et ce d'autant plus que, pourrait-on dire, la tentative pour fonder en raison la préférence accordée à l'homme, en tant précisément qu'elle se place sur le plan de la raison, relativise l'objet de sa démonstration (ce qui a besoin d'être démontré étant par définition potentiellement indémontrable): la préférence pour l'homme ne peut être posée que comme absolu. Elle constitue une décision. "Nous avons à décider - dit Elisabeth de Fontenay - que la signification de l'humain ne se laisse pas déchiffrer à partir du seul savoir sur l'origine de l'homme et sa réalité biologique".

Elisabeth de Fontenay, Sans offenser le genre humain, Albin Michel, 2008.

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