On ne le répètera jamais assez: la ponctuation n'est pas, comme beaucoup le croient, un accessoire plus ou moins décoratif, dont on peut se passer ou qu'on peut utiliser selon son bon plaisir ; elle est un code, autrement dit un ensemble cohérent de signes, dont le mauvais usage nuit à l'intelligence d'un texte. L'Anglaise Lyne Truss a fait des fautes de ponctuation le thème d'un livre humoristique qui s'est vendu à 3 millions d'exemplaires. Son titre lui-même, Eats, Shots and Leaves, montre comment une virgule intempestive peut complètement dénaturer le sens d'une phrase. En effet, selon que l'on met ou non une virgule après "Eats" dans cette phrase (censée se rapporter à un panda), elle voudra dire "Mange des pousses et des feuilles" ou "Mange, tire et s'en va", ce qui est effectivement bien différent. Le problème, c'est qu'à en croire l'article que Louis Menand lui a consacré à sa sortie dans le New Yorker, le livre de Lyne Truss est lui-même bourré de fautes de ponctuation, à quoi s'ajoute que l'éditeur américain du livre n'a pas jugé bon de l'adapter pour tenir compte des usages propres aux Etats-Unis, ce qui, nous dit Menard, le rend absolument inutile pour un Américain. Il ajoute par ailleurs qu'il est plutôt plaisant qu'une Anglaise prétende donner des leçons de ponctuation aux Américains, les Anglais étant généralement réputés bien plus laxistes en la matière. C'est un peu comme si, dit-il, un Américain se proposait d'apprendre aux Français à cuisiner. Passons, ce n'est pas de Lyne Truss que je voulais parler, mais d'un livre français qui est une sorte de bible de la ponctuation pour notre langue: je veux parler du Traité de la ponctuation française de Jacques Drillon. C'est un ouvrage extrêmement complet sur la question, qui se compose de deux parties. La première partie expose succinctement l'histoire de la ponctuation, de la scriptio continua des Anciens jusqu'aux propositions de réforme de Raymond Queneau ; la deuxième partie constitue une sorte de guide du bon usage, illustré de nombreux exemples et contre-exemples empruntés à la littérature. Certes la ponctuation n'est pas une science exacte, d'autant plus que, comme le disait Paul Valéry, cité par Drillon dans sa préface, "notre ponctuation est vicieuse" "car elle est à la fois phonétique et sémantique, et insuffisante dans les deux ordres". Elle n'en a pas moins des règles communément admises, que cet ouvrage expose clairement, ce qui en fait un outil de référence précieux ayant sa place dans une bibliothèque à côté des autres usuels.
En guise de post-scriptum: Drillon dit dans sa préface qu'il s'est trouvé des écrivains par le passé pour demander l'introduction de signes de ponctuation supplémentaires, par exemple un "point d'ironie", destiné à compléter les points d'interrogation, d'exclamation et de suspension. L'écrivain Alcanter de Brahm (1868-1942) l'aurait même adopté dans ses ouvrages, lui donnant la forme d'un point d'interrogation couché. On peut se demander si les smileys ou autres émoticônes introduits par le courrier électronique ne viennent pas exaucer en quelque façon ce désir de signes de ponctuation supplémentaires dont le besoin se faisait sentir depuis longtemps. En même temps il est vrai, comme le dit Drillon, que "l'ironie est dans la phrase, non dans le signe qui la clôt", et que l'inflation des smileys trahit parfois l'indigence de la pensée et de l'expression. Il n'en reste pas moins que l'étude des smileys comme développement de la ponctuation serait intéressante.
Lynne Truss, Eats, Shoots & Leaves: The Zero Tolerance Approach to Punctuation, 2004
Louis Menard, "Bad Comma, Lynne Truss's strange grammar", The New Yorker, 28/06/2004.
Jacques Drillon, Traité de la ponctuation française, Gallimard, 1991.
En guise de post-scriptum: Drillon dit dans sa préface qu'il s'est trouvé des écrivains par le passé pour demander l'introduction de signes de ponctuation supplémentaires, par exemple un "point d'ironie", destiné à compléter les points d'interrogation, d'exclamation et de suspension. L'écrivain Alcanter de Brahm (1868-1942) l'aurait même adopté dans ses ouvrages, lui donnant la forme d'un point d'interrogation couché. On peut se demander si les smileys ou autres émoticônes introduits par le courrier électronique ne viennent pas exaucer en quelque façon ce désir de signes de ponctuation supplémentaires dont le besoin se faisait sentir depuis longtemps. En même temps il est vrai, comme le dit Drillon, que "l'ironie est dans la phrase, non dans le signe qui la clôt", et que l'inflation des smileys trahit parfois l'indigence de la pensée et de l'expression. Il n'en reste pas moins que l'étude des smileys comme développement de la ponctuation serait intéressante.
Lynne Truss, Eats, Shoots & Leaves: The Zero Tolerance Approach to Punctuation, 2004
Louis Menard, "Bad Comma, Lynne Truss's strange grammar", The New Yorker, 28/06/2004.
Jacques Drillon, Traité de la ponctuation française, Gallimard, 1991.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire