"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


mardi 24 mars 2009

Valise en carton

A mon retour de Milan samedi, j'ai pour compagnon de voyages cinq Italiens - deux couples et un homme - qui composent à eux tous un magnifique échantillon de l'immigration italienne en Suisse dans les années 60. Ils sont tous cordiaux et diserts et la conversion s'engage immédiatement.
Le premier couple est formé d'un campanien et de sa femme, originaire de Brescia, tous deux octogénaires (lui a 84 ans). Il est arrivé en Suisse, dans le canton de Genève, comme ouvrier agricole saisonnier à la fin des années 50, puis il a trouvé du travail dans l'industrie horlogère, où il est resté jusqu'à l'âge de la retraite. Ils vivent encore à Genève, ils reviennent de Brescia, où ils ont été voir de la famille.
Le deuxième couple, dans les 65 ans, est formé de deux Siciliens de Catane. C'est lui qui était arrivé le premier en Suisse, dans le canton de Berne, pour travailler comme maçon, dans les années 60.
Elle est ensuite venue l'y rejoindre, ils y ont vécu jusqu'à leur départ en retraite. Ils sont maintenant revenus en Sicile. Ils se rendent à Berne pour voir leurs trois enfants adultes, qui eux vivent encore en Suisse.
Enfin l'homme seul est un Calabrais, lui aussi dans les 65 ans, arrivé dans les années 60, aujourd'hui à la retraite, qui vit dans la région de Gruyère. Il est venu en journée à Milan pour y faire des emplettes de produits italiens et, dit-il, pour le plaisir d'y entendre parler l'italien, ne serait-ce que quelques heures.
Il est intéressant de les entendre parler de leur expérience de l'émigration, qu'on ne peut s'empêcher de mettre en parallèle avec la condition actuelle des immigrés dans nos pays.
Tous s'accordent sur la dureté de la Suisse de l'époque vis-à-vis des immigrés.
La femme de Catane raconte comment les autorités suisses exigeaient alors un délai de 18 mois avant qu'un travailleur immigré puisse faire venir ses enfants, et que c'est donc clandestinement qu'elle fit entrer sa fille avant l'expiration de ce délai, quitte à faire un nouvel aller-retour le moment venu pour la faire entrer légalement.
Le Calabrais est particulièrement amer sur le compte des Suisses en général, qu'il trouve froids et distants. Il dit avec une tristesse qui fait presque peine à voir qu'en 50 ans de vie en Suisse, il ne s'est pas fait un ami. Je lui demande si c'est uniquement pour des raisons économiques qu'il s'est établi en Suisse et si, au cas où il aurait eu le choix, il serait resté vivre en Calabre: il me répond que cela ne fait aucun doute. Il parle ensuite de la tristesse qu'il éprouve à constater que ses propres enfants, élevés ici, sont devenus à leur façon un peu suisses, capables eux aussi de froideur et de distance.
La dame de Brescia, sans manifester la même amertume, souligne que tous leurs amis à Genève sont des immigrés italiens. Mais elle et son mari semblent se plaire en Suisse. Lui parle d'ailleurs dans d'excellents termes des chefs et des patrons qu'il a eus en Suisse. Il les trouve bien plus respectueux que les patrons italiens.
Ils parlent ensuite de leurs pensions de retraite, des avantages respectifs des régimes suisse et italien, des formalités qu'il a fallu remplir, s'agissant du couple revenu au pays, pour percevoir en Italie la pension suisse etc.
C'est vraiment la génération des immigrés à la valise en carton, et c'est très instructif de les écouter parler.

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