J'ai trouvé à Milan un livre qui vient de paraître chez Mondadori sous le titre La Famiglia Gramsci in Russia. L'auteur en est le journaliste Giancarlo Lehner, ancien directeur de L'Avanti, le quotidien du PSI.
Or, dès la préface, je suis profondément irrité. Lehner y raconte comment Gramsci, alors qu'il multilpliait les démarches auprès des autorités pour sortir de prison, aurait été lâché par Togliatti, la direction du PCI en général, le Komintern et l'URSS, pour qui un Gramsci prisonnier puis mort en prison aurait été d'un bien meilleur rapport en termes de propagande qu'un Gramsci libre etc.
Ce n'est pas la relation de ces faits, bien entendu, qui est à l'origine de mon irritation. Il semble établi depuis longtemps que l'attitude du PCI, du Komintern et de Staline dans l'affaire Gramsci a été pour le moins équivoque, et on conçoit fort bien que la stature intellectuelle et la forte personnalité de Gramsci n'aient pas été pour plaire à Staline etc.
Ce qui m'irrite, ce n'est donc pas que l'on parle de cela, et j'aimerais même en savoir plus, et il se peut que le livre de Lehner jette au bout du compte une certaine lumière sur cette affaire.
Mais le ton sur lequel il écrit est proprement insupportable. Il relève plus de la polémique, voire du pamphlet, que l'enquête historique sobre. Et ce faisant, il dessert son propos.
Il s'agit là d'un phénomène que j'ai eu bien souvent l'occasion d'observer. Lehner, comme je l'ai dit plus haut, est un ancien du PSI (lequel a sombré corps et biens dans les procès des années 90 connus sous le nom d'opération Mains propres).
Or le PSI des années 70 et 80, après le tournant imprimé par Bettino Craxi au milieu des années 70, était avant toute chose anticommuniste, à un point qu'on peine à imaginer.
Certes, cela pouvait s'expliquer en partie par le fait que le PCI avait longtemps été hégémonique dans la gauche italienne, non seulement parce qu'en termes de suffrage il dominait largement le PSI, mais parce qu'idéologiquement le PSI, encore confusément révolutionnaire dans son projet jusqu'au tournant de Craxi, était en quelque sorte une pâle copie du PCI.
Le tournant de Craxi avait consisté précisément dans une rupture avec le projet révolutionnaire, dans l'acceptation de la démocratie occcidentale et du marché comme horizon d'action.
Bref, il avait marqué une rupture d'avec la sujétion précédente du PSI vis à vis du PCI, et on pouvait comprendre par conséquent l'existence de débats vifs entre l'un et l'autre partis.
Mais cela n'explique pas pour autant la haine, je dis bien la haine que les socialistes des années 80 vouaient aux communistes, au point que beaucoup de dirigeants socialistes ont préféré, dans le nouveau paysage politique qui a surgi après la chute de l'URSS et les affaires de corruption du début des années 90, rejoindre les rangs de Berlusconi que de s'allier avec les anciens communistes. Cette haine, dont on n'a pas l'exemple en France entre socialistes et communistes, demeure une énigme pour moi.
Toujours est-il qu'elle affleure à chaque page de ce livre de Lehner, au détriment, comme je le disais, des thèses mêmes qu'il se propose de soutenir. Car rien n'irrite plus dans un livre d'histoire que le ton du procureur.
Cela dit, je passerai outre cette irritation pour voir ce que Lehner a d'intéressant à dire car, quels que soient les sentiments qui ont dicté ses recherches, son livre semble intéressant, d'autant plus qu'il contient les journaux inédits de la belle-fille et de la petite fille de Gramsci, un témoignage certainement intéressant sur le sort de cette famille soviétique atypique et sur l'URSS de l'époque.