Je lis dans la Préface des Souvenirs d'enfance et de jeunesse de Renan (écrit dans les années 70 du XIXe siècle):
"Le monde marche vers une sorte d'américanisme, qui blesse nos idées raffinées, mais qui, une fois les crises de l'heure actuelle passées, pourra bien n'être pas plus mauvais que l'ancien régime pour la seule chose qui importe, c'est-à-dire l'affranchissement et le progrès de l'esprit humain. Une société où la distinction personnelle a peu de prix, où le talent et l'esprit n'ont aucune cote officielle, où la haute fonction n'ennoblit pas, où la politique devient l'emploi des déclassés et des gens de troisième ordre, où les récompenses de la vie vont de préférence à l'intrigue, à la vulgarité, au charlatanisme qui cultive l'art de la réclame, à la rouerie qui serre habilement les contours du Code pénal, une telle société, dis-je, ne saurait nous plaire. Nous avons été habitués à un système plus protecteur, à compter davantage sur le gouvernement pour patronner ce qui est noble et bon. Mais par combien de servitudes n'avons-nous pas payé ce patronage! (...) Les concessions qu'il fallait faire à la cour, à la société, au clergé étaient pires que les petits désagréments que peut nous infliger la démocratie. (...) En somme, il se peut fort bien que l'état social à l'américaine vers lequel nous marchons, indépendamment de toutes les formes de gouvernement, ne soit pas plus insupportable pour les gens d'esprit que les états sociaux mieux garantis que nous avons traversés. On pourra se créer, en un tel monde, des retraites fort tranquilles. (...)"
On voit que Renan ne cède pas aux sentiments antidémocratiques qu'on observe chez tant d'intellectuels de son temps, nostalgiques de ce que l'historien Christophe Charle, me semble-t-il, appelle "l'ancien régime culturel" (mécénat, patronage, pensions etc.) et de l'ancien régime en général.
Non pas que Renan ne soit pas convaincu lui aussi du nivellement social et culturel qu'entraînent les progrès de l'égalité, mais, du point de vue où il se place, celui des conditions favorables à l'exercice de la pensée (et plus concrètement encore, à l'existence du penseur, de l'homme voué aux choses de l'esprit), il considère qu'à tout prendre une société plus égalitaire pourrait être préférable aux sociétés d'ancien régime.
"Le monde marche vers une sorte d'américanisme, qui blesse nos idées raffinées, mais qui, une fois les crises de l'heure actuelle passées, pourra bien n'être pas plus mauvais que l'ancien régime pour la seule chose qui importe, c'est-à-dire l'affranchissement et le progrès de l'esprit humain. Une société où la distinction personnelle a peu de prix, où le talent et l'esprit n'ont aucune cote officielle, où la haute fonction n'ennoblit pas, où la politique devient l'emploi des déclassés et des gens de troisième ordre, où les récompenses de la vie vont de préférence à l'intrigue, à la vulgarité, au charlatanisme qui cultive l'art de la réclame, à la rouerie qui serre habilement les contours du Code pénal, une telle société, dis-je, ne saurait nous plaire. Nous avons été habitués à un système plus protecteur, à compter davantage sur le gouvernement pour patronner ce qui est noble et bon. Mais par combien de servitudes n'avons-nous pas payé ce patronage! (...) Les concessions qu'il fallait faire à la cour, à la société, au clergé étaient pires que les petits désagréments que peut nous infliger la démocratie. (...) En somme, il se peut fort bien que l'état social à l'américaine vers lequel nous marchons, indépendamment de toutes les formes de gouvernement, ne soit pas plus insupportable pour les gens d'esprit que les états sociaux mieux garantis que nous avons traversés. On pourra se créer, en un tel monde, des retraites fort tranquilles. (...)"
On voit que Renan ne cède pas aux sentiments antidémocratiques qu'on observe chez tant d'intellectuels de son temps, nostalgiques de ce que l'historien Christophe Charle, me semble-t-il, appelle "l'ancien régime culturel" (mécénat, patronage, pensions etc.) et de l'ancien régime en général.
Non pas que Renan ne soit pas convaincu lui aussi du nivellement social et culturel qu'entraînent les progrès de l'égalité, mais, du point de vue où il se place, celui des conditions favorables à l'exercice de la pensée (et plus concrètement encore, à l'existence du penseur, de l'homme voué aux choses de l'esprit), il considère qu'à tout prendre une société plus égalitaire pourrait être préférable aux sociétés d'ancien régime.
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