"It was the best of times, it was the worst of times..."
Charles Dickens. A Tale of Two Cities.


dimanche 4 janvier 2009

Un serpent de mer

La réforme de l'orthographe est en France un vieux serpent de mer. On ne compte plus les réformes proposées ou tentées depuis plus d'un siècle. Mais personne ne s'est décidé encore à prendre les mesures radicales qui s'imposeraient.
Dans une interview donnée au Matin, le linguiste André Chervel prône une simplification radicale de l'orthographe.
Il part du constat suivant: une recherche menée en 1996 a fait apparaître que les élèves âgés de 12 à 14 ans des années 90 faisaient en moyenne 2,5 plus de fautes d'orthographes que les enfants de la même classe d'âge dans les années 20. Des recherches plus récentes montrent que ce phénomène s'est encore aggravé et que les collégiens d'aujourd'hui ont environ deux années scolaires de retard sur ceux de 1987.
Bref, le système éducatif tel qu'il existe aujourd'hui n'est plus à même d'enseigner l'orthographe, et cela se ressent jusque dans les copies des étudiants universitaires.
La maîtrise de l'orthographe est devenue l'apanage d'une élite et remplit essentiellement une fonction de distinction sociale.
D'où la nécessité d'une réforme radicale, qui consisterait entre autres dans l'abolition des doubles lettres là où elles ne se prononcent pas, la généralisation du "s" comme marqueur du pluriel ("animaus") etc.
Je n'ai pas trop envie de discuter les détails techniques des mesures de simplification proposées par Chervel, mais je partage l'idée selon laquelle une réforme radicale s'impose.
C'est un fait, presque aucun élève aujourd'hui ne maîtrise l'orthographe telle qu'elle existe, et elle est effectivement devenue un marqueur social.
Cela n'est pas rédhibitoire en soi pour une pratique que d'être un marqueur social.
Manger à sa faim, après tout, c'était naguère encore un marqueur social!
Mais le problème de notre orthographe, c'est qu'elle est un marqueur social sans avoir par ailleurs, dans bien des cas, aucune utilité.
La plupart de ses difficultés n'ont aucune raison d'être.
Combien d'entre elles sont liées à des lettres adventices introduites à telle ou telle époque prétendument pour garder trace de l'étymologie. Or, un certain nombre de ces étymologies sont fantaisistes et, de toute façon, l'orthographe n'a pas vocation à constituer le musée historique d'une langue. (Un philosophe c'est en italien tout bonnement un filosofo, pourquoi ne serait-ce pas en français un filosof?).
On se désole de répéter ces choses qui ont déjà été dites mille fois...
En outre, l'apprentissage de l'orthographe distrait du temps au détriment de celui qu'on pourrait consacrer utilement à la grammaire, au vocabulaire etc., bref à la maîtrise réelle de la langue.
Il est donc urgent d'en finir avec cette querelle centenaire et d'adopter enfin une orthographe le plus phonétique et le plus rationnelle possible, pour pouvoir se concentrer sur l'enseignement de la langue elle-même. Car ce qui choque dans bien des textes d'adolescents (ou d'adultes d'ailleurs), tels qu'on peut en lire sur Internet par exemple, ce n'est pas tant l'orthographe que la syntaxe calamiteuse etc., toute une pauvreté d'expression qui trahit une pauvreté de pensée, car les deux choses, qu'on le veuille ou non, sont liées.

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